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288 ŒUVRES

de mon excellence; et ce sentiment, je serai bien loin de l'éprouver , si vous peignez les hommes exactement comme ils sont dans la nature. Agran- dissez-nous à nos propres yeux : c'est une flatterie indirecte et d'autant plus ingénieuse, par laquelle vous séduirez à coup sûr notre jugement. Corneille a dit : L'homme s'admirera en m'écoutant , en me lisant. Je lui monti'erai Rodrigue , tuant par honneur le père d'une maîtresse qu'il adore ; Aui^uste pardonnant à son assassin ; César ven- geant la mort de son ennemi. Je peindrai de grands criminels , et on s'intéressera à leur sort , parce que le crime, si je le risque sur le théâtre, peut attacher; il n'y a que la bassesse qui soit tout-à- fait révoltante : un vil intrigant qui sacrifie son gendre à de lâches espérances de grandeur , je lui donnerai des remords qui feront au moins tolérer son caractère.

Au reste, il serait à souhaiter que Corneille eût pu placer Pauline et Sévère dans l'admirable si- tuation où il les a mis , sans exposer aux yeux im caractère aussi vil que celui de Félix. De ce qu'on n'ose plus en hasarder de semblables , quelques personnes infèrent la médiocrité des successeurs de Corneille : lui seul , dil-on , pouvait mettre un Féhx, un Prusias sur la scène. 11 fallait con- cluie au contraire que, depuis ce grand honnne, on a fait des progrès dans J'art qu'il a créé. On a senti qtfil fallait des raisons invincibles pour autoriser un poète à peindre de si vils criminels.

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