DE CHAMFORT. 28,f
est pas moins vrai que je suis lié par la reconnais- sance et par l'attachement aux personnes qui ont sollicité et obtenu cette place pour moi , tandis que j'étais cloué dans mon lit depuis six semai- nes; je passerais pour un être sauvage et indomp- table, un misantrope désespéré, et je serais con- damné universellement.
Il faut vous dire , de plus , qu'indépendamment de ma nouvelle place , ma liaison avec M. le comte de Vaudreuil est devenue telle qu'il n'y a plus moyen de penser à quitter ce pays-ci. C'est l'a- mitié la plus parfaite et la plus tendre qui se puisse imaginer. Je ne saurais vous en écrire les détails ; mais je pose en fait que , hors l'Angleterre où ces choses-là sont simples , il n'y a presque personne en Europe digne d'entendre ce qui a pu rappro- cher , par des liens si forts , un homme de lettres isolé, cherchant à l'être encore plus , et un homme de la cour , jouissant de la plus grande fortune et même de la plus grande faveur. Quand je dis des liens si forts , je devrais dire si tendres et si purs ; car on voit souvent des intérêts combinés produire entre des gens de lettres et des gens de la cour des liaisons très-constantes et très-dura- bles ; mais il s'agit ici d'amitié, et ce mot dit tout dans votre langue et dans la mienne.
Voilà , mon ami , quelles sont les raisons qui m'empêchent d'aller vous chercher , et qui vrai- semblablement me priveront toujours du plaisir tle vous voir dans votre retraite de Provence. Il
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