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sur Chamfort.

Une nouvelle amitié, qu’il se garda bien de confondre dans la foule des liaisons communes, ce fut celle d’un homme qui a depuis joué un grand rôle & acquis en bien, & en mal, une grande renommée. Mirabeau chercha & saisit l’occasion de se lier avec lui. Entre ces deux hommes si différens en apparence, il s’établit promptement une véritable intimité : c’est que dans ce qu’ils avaient tous deux de bon & de louable, leurs différences apparentes cachaient des rapports secrets. Le caractère principal de l’un s’alliait avec ce que l’autre avait d’accessoire : la force, l’impétuosité, la sensibilité passionnée dominaient dans Mirabeau ; la finesse d’observation, la délicatesse ingénieuse dans Chamfort : mais rarement un homme à grands mouvemens d’ame, tel que le premier, eut dans l’esprit plus de nuances délicates ; rarement aussi un homme d’un esprit fin & profond, d’un talent pur & fini, tel que le second, eut dans l’ame plus de force & plus de chaleur.

On ne peut écrire le nom de Mirabeau sans que l’esquisse d’un portrait & les premiers traits d’un grand caractère ne viennent comme d’eux-mêmes se placer sous la plume. On ne peut avoir vu ce Météore se lever, se précipiter, comme une comète, à travers le système politique & disparaître tout-à-coup au milieu de la longue surprise & de l’admiration inquiète qu’il a causée, sans être fortement tenté de le peindre : mais il ne s’agit ici de Mirabeau que secondairement ; & je ne dois, pour ainsi dire, laisser appercevoir de son éclat que ce qui rejaillit & reflète sur Chamfort. Quelque