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Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/34

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encore infailliblement, lui qui, à en croire votre récit, tenait si faiblement à celle qu’il avait reçue de la nature. Que celui qui ne porte point d’ombre ne s’expose pas au soleil ; c’est le plus raisonnable et le plus sûr. » Il se leva à ces mots, et s’éloigna, en me lançant un regard pénétrant que je ne pus supporter. Je retombai dans mon fauteuil, et je cachai mon visage dans mes deux mains.

Bendel, en rentrant, me trouva dans cette attitude, et, respectant la douleur de son maître, il allait se retirer en silence. Je levai les yeux ; je succombais sous le fardeau de mes peines ; il les fallait alléger en les versant dans le sein d’un ami. — « Bendel, lui criai-je, Bendel, toi le seul témoin de ma douleur, qui la respectes, et ne cherches point à en surprendre la cause, qui sembles t’y montrer sensible et la partager en secret, viens près de moi, Bendel, et sois le confident, l’ami de mon cœur. Je ne t’ai point caché l’immensité de mes richesses ; je ne veux plus te faire un mystère de mon désespoir. Bendel, ne m’abandonne pas. Tu me vois riche, libéral, et tu penses que le monde devrait m’honorer et me rechercher. Cependant tu me vois fuir le monde ; tu me vois mettre entre lui et moi la barrière des portes et des verrous. Bendel, c’est que le monde m’a condamné ; il me repousse, me rejette ; et peut-être me fuiras-tu toi-même, lorsque tu sauras mon effroyable secret. Bendel, je suis riche, généreux, bon maître, bon ami, mais, hélas ! je n’ai plus…… Comment achever, grand