Page:Chantavoine - Le Poème symphonique, 1950.djvu/55

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donc pas en tout point un modèle. Saint-Saëns aligne, élague, ajuste. À des développements plus sobres, à des perspectives mieux dégagées, à un orchestre moins empâté et plus transparent, le genre même ne fera que gagner.

En cela, Saint-Saëns n’obéit pas seulement à sa nature individuelle, qui corrige tout ce qu’elle touche et ramène tout à un niveau pratique. Il se montre de surcroît fils d’un pays épris d’idées claires, peu enclin aux excès de goût et contemporain d’une époque où à la fougue abondante du romantisme, que l’on a vue se survivre chez Liszt, succède l’ordre du Parnasse, temple de l’art pour l’art et de la beauté impassible[1]. Il évitera donc trop d’abstraction dans le symbole, qui ne dépassera pas l’allégorie plus sensible. Plus de préfaces, de manifestes ou de longues citations comme dans Ce qu’on entend sur la montagne, Tasso, Mazeppa, Prométhée, les Idéals : à peine un mot d’explication ou d’avertissement, au titre, pour montrer dans le Rouet d’Omphale « la lutte triomphante de la faiblesse contre la force », dans Phaéton la chute de l’orgueil, dans la Danse macabre son simple caractère funèbre, dans la Jeunesse d’Hercule l’opposition des plaisirs bruyants et de la mâle vertu. Le développement s’astreint à une concision dont Liszt faisait quelquefois trop bon marché. Si les éléments pittoresques, descriptifs, en particulier dans le Rouet d’Omphale, ne sont, d’après lui, qu’un « prétexte » pour illustrer, éclairer, mettre en scène un symbole, ils prennent pourtant plus d’importance qu’il ne le dit et peut-être ne le croit. Ils rejettent dans l’ombre l’apologue. La musique y gagne en mouvement et en couleur ; elle y perd en

  1. Même portée par les élans ou animée par les derniers souffles du romantisme, la poésie française n’a jamais aspiré à la musique, cette terre promise ou ce paradis perdu de la pensée et de la poésie allemandes, de Hegel aussi bien que de Novalis ou de E.-T.-A. Hoffmann. Quelques titres de poésies ou d’œuvres ne sont que des mots empruntés au vocabulaire musical : les Harmonies poétiques et religieuses ne sont pas du domaine sonore ; les symphonies de Victor de Laprade (1855) n’en ont pas la forme. Quant à la symphonie en blanc majeur, chantée par Théophile Gautier à la gloire de Mme de Moukhanoff-Kalergis (héroïne du groupe Wagner-Liszt), elle ne relève pas de la musique, mais de la peinture, où Gautier avait débuté.