Page:Chardon - Antonia Vernon.djvu/17

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la pénétra. Que de larmes ils avaient dû verser ces yeux-là avant d’être ainsi creusés tout alentour, et que de haine ils avaient dû exprimer avant d’être rougis jusqu’à ne plus laisser voir rien de blanc autour de leur pâle prunelle. La couleur du sang remplaçait cette blanche et fraîche couleur transparente de l’intérieur des yeux, si brillante dans la jeunesse, et dont Antonia offrait un pur et rayonnant modèle. Cependant la jeune fille, qui se sentait sous le feu des regards haineux et méchants de cette horrible femme, n’osait plus faire un mouvement, et il lui fallut un grand effort joint à cette idée : c’est qu’elle souffre ! — pour qu’elle avançât une petite main tremblante afin de lui faire sa modeste offrande. Mais la vieille recula, ne prit pas ce qui lui était offert ; puis, après un profond gémissement, elle cacha son visage dans ses mains décharnées et pleura… Antonia restait immobile à sa place ; alors la vieille fit une espèce de bond, s’écarta et courut loin d’elle sur la large route. Ses pas vacillaient, sa marche incohérente et sans direction avait quelque chose d’effrayant et représentait la folie ; elle n’avait plus la conscience d’elle-même et du danger. Aussi n’entendit-elle nullement les pas d’un cheval qui venait au galop, et qui, en passant trop près d’elle, la renversa.

Ce cheval était monté par une femme dont l’âge atteignait la trentième année, sans altérer sa beauté,