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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

que la signification esthétique de ces lignes tient bien à leur parfaite horizontalité, il suffit de leur imprimer une direction oblique, s’élevant au-dessus ou tombant au-dessous de l’horizontale. On est tout de suite convaincu de la valeur qui s’attache même à une indication aussi élémentaire des organes ; on est frappé de l’éloquence d’un signe aussi vague.

Dans les divers règnes de la nature, l’horizontalité des lignes dominantes produit des impressions analogues ; elle imprime un caractère d’éternité aux grands spectacles du monde. Tantôt elle marque la tranquillité et le silence de la mer ; tantôt, dans les lignes de rochers qui bordent l’Océan, elle nous donne l’idée d’une création lente, non interrompue durant des siècles, et, quand les vagues se soulèvent, elle nous fait retrouver dans la stratification des falaises « le sentiment d’une paix éternelle. Cela est si vrai que, si les assises du rocher sont inclinées, aussitôt notre pensée se reporte aux catastrophes qui ont jadis bouleversé le globe et soulevé le granit de ses entrailles. Tantôt, dans quelques grands arbres, comme le cèdre par exemple, l’horizontalité des branches nous indique l’énergie qui résiste aux tempêtes et une sorte de tranquillité végétale unie à la majesté de la force, et qui devient saisissante quand on la compare à l’aspect mélancolique du sapin dont les branches s’inclinent, ou au caractère tendre de cet arbre échevelé que la poésie populaire appelle le saule pleureur.

Il ne faut, donc pas s’étonner que les monuments primitifs de l’architecture en plate-bande, terminés par des lignes horizontales, aient une expression si grave, si décisive. Ce système d’architecture fut pratiqué dans de vastes dimensions dès les premiers âges, car il est remarquable qu’à l’origine des sociétés c’est toujours le grand qui domine ; partout les peuples débutent par le colossal… Mais une couverture en plate-bande exigeait alors des pierres énormes allant d’un support à l’autre, et ces pierres ne pouvaient être transportées, soulevées qu’à force de bras par un peuple esclave, soumis au prince ou aux prêtres, et d’une patience inaltérable. là le sentiment qui se lie à ces œuvres gigantesques dont la stabilité éternelle a quelque chose de fatal comme le despotisme qui les commanda. Dans les monuments égyptiens surtout, l’uniformité écrasante d’une ligne plane se dessinant, se prolongeant sur un ciel dont l’azur est toujours le même, procure l’impression d’un calme solennel et fait naître l’idée d’un immense niveau qui pèse sur tout un peuple résigné. Cependant, par un contraste frappant, mais naturel, s’élèvent, de distance en distance, des pyramides, monuments symboliques d’une signification obscure. Que des Pharaons y aient caché le tombeau de leurs pères et y aient marqué la place de leur propre sépulture, le monument n’en reste pas moins énigmatique ; il présente une base carrée et des surfaces triangulaires, c’est-à-dire des nombres qui, regardés comme les emblèmes de la Divinité et de la création, appartiennent à une science transcendante,