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le peuple du pôle

avions laissé le fleuve assez loin de nous, et tel que je le vis par la suite, plus étroit et très peu profond, il était là tout près de sa source, c’est-à-dire de la banquise. Une lépreuse végétation de gazons et de fougères avait peine à vivre dans ces parages et, déjà, par places, avant de se couvrir pour des lieues et des lieues d’un manteau de glace, la chair ocreuse du sol était nue. Lorsque la nuit polaire tomba, la température devint très basse. Je grelottai longtemps stupidement assis au seuil de la cabine. Mais ce fut, je pense, ce froid dont je n’avais pas souffert jusque-là qui me donna soudain le sentiment de ma nouvelle situation et de ma détresse. Alors me levant et jetant les yeux autour de moi j’aperçus la dépouille informe et sanglante du monstre assassiné…

Et Ceintras ?… Qu’était devenu Ceintras ?… À quels excès n’avait pas dû l’entraîner depuis quelques heures une démence à présent furieuse ? La rapide contemplation de quelques images qui se dessinèrent dans mon esprit à la suite de cette pensée suffirent à transformer mon abattement en colère. Je me persuadai à ce moment que tout le mal venait de Ceintras, que s’il n’avait pas été fou nous aurions pu nous entendre tôt ou tard avec les monstres. Il fallait se mettre à leur place : deux créatures d’une race inconnue leur appa-