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le peuple du pôle

sommeil (car il était bien sûr que je ne pourrais pas éternellement résister à la fatigue), c’était là, en fin de compte, tout ce que j’avais le droit d’attendre de l’avenir. Mais, plus puissant que tous mes raisonnements, l’instinct de la conservation m’obligeait à sauvegarder une existence à laquelle la mort eût été cent fois préférable. Je voulais vivre malgré moi.

Ceintras ne desserrait plus les dents depuis que je l’avais menacé, et c’était uniquement à l’expression de sa physionomie et à son silence que je comprenais que la folie ne l’avait pas quitté. Je le sentais autour de moi comme une perpétuelle menace : il était la bête que le dompteur ne peut quitter des yeux.

Un besoin extrême de dormir rend furieux comme la faim. Parfois, lorsque mes vertèbres me semblaient près de se rompre au poids de la lassitude accumulée sur elles, que l’afflux de sang, à chaque pulsation, blessait mes tempes comme un coup de poing, que mes paupières et mon âme vacillaient douloureusement, une phrase résonnait en moi, refrain obsédant de toutes mes pensées : « Il faut que je le tue, il faut que je le tue. » Alors le désir du meurtre faisait frémir mes mains. Et, comme pour me rappeler que mon devoir était de le satisfaire, une insupportable