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le peuple du pôle

représentent. Nulle nuit ne se passe que je ne reconnaisse en rêve une immense plaine violette, peuplée d’êtres hideux, aux gorges goitreuses, aux lèvres de lézards… Je me prends parfois, en plein jour, à frémir violemment si quelqu’un ou quelque chose me frôle au moment où je ne m’y attends pas, — et c’est, en vérité, comme si le monde où je vis avait perdu tout à coup un peu de sa sécurité séculaire.

Oui, malgré la zone glaciale qui nous sépare du peuple du Pôle, cette idée que nous ne sommes plus seuls, que nous ne sommes plus tout à fait chez nous sur la Terre me cause une gêne confuse et insupportable. Il me semble même que de Vénasque n’a pas insisté suffisamment sur la possibilité d’une incursion des monstres dans le domaine des hommes. Peut-être, dès à présent, imaginent-ils le pays qu’il y a au delà de la banquise comme une sorte d’Eldorado, peut-être, pour la première fois, éprouvent-ils de vagues convoitises et, en conséquence, un secret dégoût de leur vie laborieuse… Leur curiosité naturelle suffirait du reste largement à motiver leur départ vers nous et, s’ils ont compris maintenant, comme il y a tout lieu de le croire, les principes du moteur à explosion et de la navigation aérienne, ils se mettront en route dès que bon leur semblera.