Page:Charles d Orléans - Poésies complètes, Flammarion, 1915.djvu/16

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consacrées, et avait la candeur de cultiver les formes aisées soit du rhythme, soit de la langue, tout cela était méprisable, grotesque, inavouable et soumis à l’excommunication majeure du dédain et de l’oubli.

Pour de tels pontifes littéraires, Charles d’Orléans qui disait simplement les choses, dans une langue sans prétention ; qui n’avait essayé aucune des soixante manières de torturer un rondeau, et qui n’avait pas eu l’humilité de demander la permission de parler français en s’excusant humblement de son maternel et rural langage, Charles d’Orléans était un profane.

Il était un poëte amateur, un poëte d’album, pour me servir de cette désignation moderne. C’est là le mot, et c’est là l’explication du mystère de sa position. Ce jugement fut accepté, imposé à ceux deses parents qui occupèrent le trône et tenu pour bon par Louis XII comme par François Ier.

Il fut donc dédaigné parce qu’en un temps où l’école était toute-puissante, il ne fut pas poëte de l’école du xve siècle, mais un poëte français, un poëte humain. Par contre, c’est pour cela que la postérité l’a réhabilité.

Je me suis parfois demandé si le trouble apporté dans les habitudes littéraires par les premiers efforts de l’imprimerie ne fut pas pour quelque chose dans l’obscurité de notre poète. J’ai supposé que Charles et ses copistes avaient été portés à rester dans les vieilles traditions du Moyen Âge qui renfermaient les œuvres importantes, les œuvres des princes dans les manuscrits, dans les parchemins bien écrits et bien ornés. Peut-être les préjugés du temps forçaient-ils le duc de sang royal à considérer la publicité de ses œuvres comme indigne de lui, et les œuvres imprimées comme choses de commerce banal et de marchandise bourgeoise. Il n’y a là qu’une hypothèse, que je livre à la discussion. J’ajouterai que Louis XII et François Ier ont dû être tentés de voir dans ces poésies des impressions toutes personnelles, tout intimes, toutes de famille, et qu’il ne convenait pas de confier au public.

Quoi qu’il en soit, c’est aux accidents de sa vie, à son long emprisonnement que le prince dut d’être resté ainsi personnel, original, de s’être maintenu dans le grand courant de la poésie humaine et dans les lignes