Page:Charles d Orléans - Poésies complètes, Flammarion, 1915.djvu/38

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l’adolescence insouciante pouvaient bien trouver un coin de terre vert et tieuri dans cette France ravagée du xve siècle. Pourtant j’ai dû me dérier de l’imagination du critique. Je n’ai pas osé séparer nettement des autres les morceaux que notre poëte avait dû composer avant son âge de vingt-quatre ans.

J’ai cru pouvoir chercher plus utilement à qui ces rimes amoureuses, et toutes celles qu’il y a jointes dans son poëme, avaient pu être adressées. Quelle est cette Beauté qui l’entraîne, qui le retient dans les liens du dieu Amour. Les précédents biographes y voient tantôt une femme réelle dont Beauté eût été le surnom, tantôt Bonne d’Armagnac, sa seconde femme, tantôt la France. Le texte et le détail des vers, les habitudes du poëme allégorique, le genre d’esprit de l’auteur ne se prêtaient aisément à aucune de ces hypothèses. Il ne faut pas oublier que c’est un poème que Charles a voulu composer, c’est-à-dire une œuvre patiemment élaborée, c’est un poème allégorique, c’est-à-dire — cela paraît clair — une allégorie. Il veut raconter comment il fut amoureux depuis sa jeunesse jusqu’à ce moment de son âge mûr où il est obligé, par l’approche de Vieillesse, de se despartir du dieu Cupido. Ce n’est donc pas un amour qu’il a chanté, mais toute sa vie amoureuse ; et Beauté ce n’est pas telle femme, c’est la femme, la femme belle, la femme qu’on aime, c’est le symbole, l’allégorie — il faut y insister — de tous ces cœurs féminins qui se sont donnés à lui. Seulement, ainsi que je le disais plus haut, il a, avec un sens parfait de la vraie poésie, inséré dans ce cadre, incrusté dans cette charpente les pièces qu’il avait offertes à telle ou telle personne, en choisissant ces morceaux selon qu’ils convenaient aux unes ou aux autres des parties logiques de son œuvre. Il a ainsi communiqué à son labeur artistique une vie plus intense, en précisant des états de sentiment, des faits de passion, des événements de la vie journalière ou historique mêlés à ses mémoires galants. Rien ne prouve que telle ballade, telle chanson, extraite de ce journal d’amour, n’ait pas été adressée à sa première femme Isabelle, à sa seconde femme Bonne ; mais que telle autre ait été écrite pour Marie de Berry, par exemple, ou pour quelqu’une desdamoiselles de l’hôtel de la reine, je n’y voudrais contredire.

Ce ne fut pas dès 1415, ni vraisemblablement dans