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Page:Charles d Orléans - Poésies complètes, Flammarion, 1915.djvu/39

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les premières années, que sa captivité put avoir une ardeur poitique suffisante pour fournir et l’idée et les éléments de l’œuvre et cette quantité de chansons, de rondeaux. La blessure, les vives angoisses, les inquiétudes patriotiques et ambitieuses, la brusquerie du changement, l’irritation plus vive contre la nouveauté de l’esclavage et l’espoir de la liberté plus fiévreuse, ne semblent pas permettre la réflexion nécessaire à l’art. Mais à part ces premiers mois, ou ces premiers ans, la Muse, la Muse amoureuse, consolante et rêveuse devint sa compagne d’exil. Il ne faut pas l’oublier. Si le manuscrit du Roi — que j’indiquais plus haut — nous montre le prisonnier ici, à la fenêtre de sa prison, regardant venir le messager porteur des nouvelles d’espérance, là, dans son estude ou son retrait, éternellement escorté de sa troupe de gardiens ennemis, l’imagination doit nous faire voir, à côté de tous les événements que sa biographie va nous fournir, une garde aussi fidèle et plus douce, qui est la Poésie, et un messager plus consolant encore. Il venait auprès de lui par les fenêtres de sa geôle, et c’était le regard que lui envoyait le ciel clair et l’horizon verdissant. Ce fut là, nous le répétons, le bénétice de sa prison. S’il eût continué la vie commencée, il fût devenu peut-être un capitaine comme Dunois, un diplomate rusé comme La Trémoille, mais au milieu des rigueurs et des distractions d’une telle existence, au milieu des amours faciles, au milieu des grandes et cruelles chevauchées, le poëte sensible, souriant et touchant, qu’eût-il pu devenir ? Il lui a fallu cette solitude, les tristesses de l’espérance toujours trompée et cette nécessité de rentrer en soi-même, il lui a fallu aussi la difficulté, désormais grande, de jouir de l’espace, de l’air et des champs pour enfoncer dans son âme, comme dans son cerveau, l’image, le souvenir, la douceur des belles amours et des libres perspectives. Aussi gagna-t-il la triple qualité de son génie : le sentiment intense de la nature, le mouvement profond et sincère de la sensibilité cordiale, et la légèreté souriante du philosophe résigné.

Je suis forcé de prier les lecteurs de rechercher dans l’ensemble des poésies ci-après publiées la trace des consolations que la Muse put lui fournir Ils y trouveront aussi l’indication de quelques incidents intimes ou politiques, des échanges d’amitié ou de ten-