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Page:Charles d Orléans - Poésies complètes, Flammarion, 1915.djvu/59

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POÈME DE LA PRISON.

     Du Dieu d’Amours quant parler je l’oy,
Aucunement me trouvay esbahy ;
Pource lui dis : « Maistresse, je vous prie
Pour le présent que je n’y voise mie,
Car j’ay oy à plusieurs raconter
Les maulx qu’Amour leur a fait endurer.
En son dangier bouter ne m’oseroye,
Car ses tourmens endurer ne pourroye :
Trop jeune suy pour porter si grant fais.
Il vault trop mieulx que je me tiengne en pais.
     — Fy, dist elle, par Dieu tu ne vaulx riens,
Tu ne congnois l’onneur et les grans biens
Que peus avoir, si tu es amoureux.
Tu as oy parler les maleureux,
Non pas amans qui congnoissent qu’est joye ;
Car raconter au long ne te sauroye
Les biens qu’Amour scet aux siens departir.
Essaye les, puis tu pourras choisir
Se tu les veulx ou avoir ou laissier ;
Contre vouloir nul n’est contraint d’amer.
     Bien me revint son gracieux langaige
Et tost muay mon propos et couraige,
Quant j’entendy que nul ne contraindroit
Mon cueur d’amer fors ainsy qu’il vouldroit
Si lui ay dit ; « Se vous me promettés,
Ma Maistresse, que point n’obligerés
Mon cueur ne moy, contre nostre plaisir,
Pour ceste fois, je vous veuil obéir
Et à present vous suivray, ceste voye ;
Je prie à Dieu qu’à honneur m’y convoye.
     — Ne te doubtes, se dist elle, de moy,
Je te prometz et jure, par ma foy,
Par moy ton cueur jà forcé ne sera,
Mais garde soy qui garder se pourra ;
Car je pense que jà n’aura povoir