Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/114

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l'exécution fougueuse et dos expressions terribles qui régnent dans cefouvrage, lequel enlève l'âme, mais sans la toucher ; car il n'y a que peu d'agréments. Ce morceau qui est le triomphe de son auteur, mérite bien une ample description, et dans l'excès de ma loquèle, je ne me tien- drois pas de la faire, si elle ne l'étoit déjà par Félibien, où vous pouvez la voir. Mais que diroit ce grand orateur de la peinture, s'il savoil que cet incomparable salon a servi en dernier lieu de corps-de-garde à de misérables soldats allemands qui, par la plus tudesque de toutes les bar- baries, ont écrit leurs noms et fait mille autres cruautés sur cette peinture (1) !


Dans la première pièce de l'appartement à droite, un Phaéton de clair-obscur au plafond ; dans la seconde, un autre plafond composé de mille petits tableaux, plus jolis le.<s uns que les autres ; dans la troisième, les noces de l'Amour et de Psyché, ouvrage qu'on ne peut se lasser de voir et d'admirer par la beauté du dessin, l'élégance des attitudes, etc. Je ne parle pas de la quatrième pièce, quoique belle, la précédente la gâte trop ; mais il faut voir dans la cour une salle réduite à la misérable condition d'écurie, décorée d'un plafond représentant le soleil qui se couche et la lune qui se lève, et tout autour des façons de médailles antiques, ou agates-onyx figurées en stuc d'une telle perfection, qu'on en feroit encore volontiers des bagues.


Je sortis de ce palais indigné de le voir si outrageuse- ment négligé, et m'en allai rendre hommage à la petite maison de Jules Romain, que je trouvai ornée d'une architecture rustique de très-bon goût. Il y a sur la porte une statue de Mercure, de la plus grande beauté. Mais si Jules Romain a négligé de se faire une somptueuse habi- tation, il s'est donné carrière pour se construire un voi- sinage magnifique, en bâtissant devant sa maison le vaste palais de Gonzague, dont la façade marque bien le génie entreprenant de celui qui l'a fait. Au-dessus d'un pre- mier étage de rustique, c'est, au lieu de colonnes, une longue suite de colosses grotesques qui portent sur leur tête un ordre dorique surmonté d'un entablement ou haute architrave. Que toute l'architecture et tous les palais


(I) Les traces de ces insultes ne sont plus visibles.