— 88 —
l'exécution fougueuse et dos expressions terribles qui
régnent dans cefouvrage, lequel enlève l'âme, mais sans
la toucher ; car il n'y a que peu d'agréments. Ce morceau
qui est le triomphe de son auteur, mérite bien une ample
description, et dans l'excès de ma loquèle, je ne me tien-
drois pas de la faire, si elle ne l'étoit déjà par Félibien, où
vous pouvez la voir. Mais que diroit ce grand orateur de
la peinture, s'il savoil que cet incomparable salon a servi
en dernier lieu de corps-de-garde à de misérables soldats
allemands qui, par la plus tudesque de toutes les bar-
baries, ont écrit leurs noms et fait mille autres cruautés
sur cette peinture (1) !
Dans la première pièce de l'appartement à droite, un
Phaéton de clair-obscur au plafond ; dans la seconde, un
autre plafond composé de mille petits tableaux, plus jolis
le.<s uns que les autres ; dans la troisième, les noces de
l'Amour et de Psyché, ouvrage qu'on ne peut se lasser de
voir et d'admirer par la beauté du dessin, l'élégance des
attitudes, etc. Je ne parle pas de la quatrième pièce,
quoique belle, la précédente la gâte trop ; mais il faut
voir dans la cour une salle réduite à la misérable condition
d'écurie, décorée d'un plafond représentant le soleil qui
se couche et la lune qui se lève, et tout autour des façons
de médailles antiques, ou agates-onyx figurées en stuc
d'une telle perfection, qu'on en feroit encore volontiers
des bagues.
Je sortis de ce palais indigné de le voir si outrageuse-
ment négligé, et m'en allai rendre hommage à la petite
maison de Jules Romain, que je trouvai ornée d'une
architecture rustique de très-bon goût. Il y a sur la porte
une statue de Mercure, de la plus grande beauté. Mais si
Jules Romain a négligé de se faire une somptueuse habi-
tation, il s'est donné carrière pour se construire un voi-
sinage magnifique, en bâtissant devant sa maison le vaste
palais de Gonzague, dont la façade marque bien le génie
entreprenant de celui qui l'a fait. Au-dessus d'un pre-
mier étage de rustique, c'est, au lieu de colonnes, une
longue suite de colosses grotesques qui portent sur leur
tête un ordre dorique surmonté d'un entablement ou
haute architrave. Que toute l'architecture et tous les palais
(I) Les traces de ces insultes ne sont plus visibles.