Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— 92 —


d'une quantité de belles figures de femmes, grandes, grosses, grasses et blanches, telles qu'on les voit dans les tableaux de Paul Veronese, qui n'a pas manqué d'ori- ginaux à imiter, les Vénitiennes ayant la réputation d'être les plus belles femmes de l'Europe.


On n'a rien de mieux à faire, quand on arrive, que d'aller à la comédie pour se délasser ; c'est ce que nous fîmes à Vérone. Je ne m'accoutume pas à la modicité du prix des spectacles. Les premières places ne coûtent pas dix sous, mais la nation italienne a tellement le goût des spectacles, que la quantité des gens et du menu peuple qui y vont, produit l'équivalent et tire les comédiens d'affaire. Grâce à Dieu, on ne doit pas être en peine de trouver des places à la comédie de Vérone ; elle se repré- sente tout au beau milieu de l'ancien amphithéâtre des Romains, et il n'y a point d'autres places pour les specta- teurs que de s'asseoir tout uniment à découvert sur les degrés de l'amphithéâtre ou il y a de quoi placer trente mille personnes. Il fut plein il y a quelques années lors d'une fête que l'on donna à madame la duchesse de - Modène ; ce doit être un beau coup d'œil. Je ne sais comment ces gens-là faisoient leurs constructions ; mais j'ai éprouvé que du haut des degrés, bien qu'on soit fort éloigné des acteurs, on les entend presque comme de près. Je n'ai jamais vu tant de moines à la procession qu'il y en avoit à la comédie. Je n'y vis point de Jésuites, et je m'informai s'ils n'y alloient pas. Un prêtre, placé à côté de moi, me répondit que, bien qu'ils fussent plus pharisiens que les autres, ils ne laissoient pas d'y venir quelquefois. Les dames n'y vont pas beaucoup non plus ; j'y en ai cependant trouvé tous les jours ; elles sont assises comme les autres, dans l'arène, au milieu des hommes. Les pièces des Italiens, quoique essentiellement méchantes de tout point, ne laissent pas de me réjouir par la quan- tité d'événements dont elles sont chargées, parles mau- vaises plaisanteries dont j'ai pris le goût en fréquentant votre excellence, et par le jeu des acteurs. Les troupes du pays même, sont, à mon gré, meilleures que celles qui sont transplantées à Paris et dans nos provinces. Mais ce qui m'a surpris de plus en plus, quoique je l'aie vu tous les jours, c'est une jeune danseuse qui s'élève au moins aussi haut et aussi fort que Javilliers, qui fait