Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/240

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Quoique tous les voyageurs veuleut que Pise soit une fort grande ville, elle ne m’a pas paru telle, encore que j’aie fort bien vu toute son étendue ; elle est mal peuplée, et presque seulement sur les bords de la rivière. La perte de sa liberté et le voisinage de Livourne lui ont fait grand tort. De vous dire que le marbre y est commun comme l’eau, ce discours, qui peut être vrai presque tous les jours de l’année, seroit ridicule aujourd’hui, vu l’énorme pluie qui tombe maintenant. Je ne pense pas que nulle part ailleurs on puisse trouver dans un si petit espace qu’est la place du Dôme, quatre plus jolies choses que les quatre qui y sont rassemblées ; elles sont toutes de la tête aux pieds, c’est-à-dire des fondations aux toits, même le pavé de la place, de marbre de Carrare plus blanc et presque aussi fin que l’albâtre.


Le premier de ces quatre morceaux est la cathédrale, l’une des nobles et des belles églises que j’aie trouvées. Le portail, qui est ce qu’il y a de moindre, est gothique, avec des colonnes fort ouvragées. On entre par trois grandes portes de bronze, sculptées par Jean de Bologne, beaucoup meilleures que celles qu’on prise tant au Baptistère de Florence. L’intérieur est majestueusement soutenu par soixante-huit colonnes de granit disposées sur quatre lignes ; celle où est la chaire du prédicateur est la plus curieuse, à cause des deux rampes d’escaliers qui y montent ; chaque marche est isolée, infixée dans la colonne et soutenue par une console. On ne peut rien de plus svelte et de plus joli. Le pavé ne dément pas le reste du bâtiment. Des deux chapelles de la croisée, l’une et l’autre construites d’une belle architecture, celle de la gauche a, en guise de tabernacle, un temple de vermeil, soutenu par des anges, le tout sculpté d’un grand goût ; et derrière l’autel, la Tentation d’Eve par le serpent, à qui le sculpteur a donné fort hors de propos une tête de femme, puisque de toutes les têtes qu’il pouvoit lui donner, celle-là étoit la moins capable de tenter Eve. À la chapelle de la droite, un tombeau d’un dessin -admirable, enrichi de bronze doré. On me fit remarquer dans le fronton de cette chapelle, sur les nuances du marbre, deux têtes humaines, qu’on prétend être un jeu de la nature, mais trop correctement dessinées pour n’y pas soupçonner de l’artifice. Les voûtes de ces deux chapelles.