Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/31

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Nous arrivâmes à Vienne sur les cinq heures. Le bâtiment des PP. de Saint-Antoine, qui se présente d’abord, en donne une bonne idée. Il est joli et bien situé le long du Rhône ; mais cette idée est démentie dès que l’on met le pied dans la ville qui est excessivement laide et mal bâtie. Nous ne trouvâmes rien de supportable que l’église Saint-Maurice, cathédrale bâtie dans un assez mauvais goût gothique. La voûte, toute peinte en azur est belle, hardie et fort exhaussée.

Si la place qui est au-devant de l’église était agrandie et régulière, sa situation la rendrait magnifique ; d’une part, elle est terminée par le portail, et de l’autre par le Rhône.

La ville, bâtie tout le long du fleuve, est longue et fort étroite ; elle est très-ancienne, et avoit été jadis extrêmement grande, puisqu’à un bon demi-quart de lieue hors de la ville, nous vîmes, dans des vignes, un obélisque qui en marquoit autrefois le milieu. Elle est tout-à-fait collée contre une vilaine montagne ; au-dessus est l’enceinte fort vaste d’un vieux château tout ruiné, de même que le pont sur le Rhône, qui fait l’endroit de ce fleuve le plus dangereux, sans cependant qu’il le soit beaucoup.

À six heures et demie, nous arrivâmes à Condrieux, petite ville du Lyonnais, ayant fait ce jour-là neuf lieues. On trouve auparavant, du même côté, la fameuse Côte-Rôtie : je ne m’étonne nullement qu’elle soit rôtie depuis qu’elle est là, puisque moi, qui n’y restai qu’un instant, je faillis à y être calciné. Le faubourg sur la rivière, où nous logeâmes, est assez joli.

Le 5, nous partîmes à trois heures du matin, et voyageâmes avec le vent contraire, qui nous traversa tout le jour, entre deux montagnes fort serrées et fort arides, laissant Serrières à droite et Saint-Vallier à gauche. Nous touchâmes à Tournon, petite ville assez drôle, qui a un fort et vieux château sur un roc, au milieu du Rhône. Les bons PP. jésuites, qui, selon leur sapience ordinaire, sont les mieux logés de la ville, ont sur une haute tour une terrasse ornée de balustrades, en vue magnifique.

Vis-à-vis Tournon, on voit la petite ville de Tain, dominée par une montagne, au-dessus de laquelle est un petit ermitage, dans l’enclos duquel croît le vin célèbre de ce nom. Comme je ne suis pas homme à perdre la