Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/57

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chante traite à faire ; mais rien ne coûte quand on aime. Quel chemin ne ferois-je pas de bon cœur pour avoir l’honneur de vous cocufier ?

Fréjus est une petite ville fort ancienne, située sur une hauteur ; je remarquai à l’entrée les restes d’un amphithéâtre des Romains, dont l’enceinte est encore entière et un des côtés passablement conservé. À la sortie, je vis les ruines d’un grand et bel aqueduc, et le champ qui étoit autrefois le port de la ville, avant que la Méditerranée se fût retirée d’une demi-lieue. Depuis là, on ne fait plus que monter très-haut et très-rapidement. C’est le commencement des Alpes maritimes ; le précipice est toujours à côté, ce qui parut excessivement mal inventé à mes camarades. Pour moi, qui me souvenois d’avoir passé l’hiver dernier le mont Jura, je trouvai ce chemin le plus beau cours du monde. En effet, il est fait avec un grand soin, et tout bordé de forêts et d’arbres admirables. Ce fut en commençant à descendre que mon cousin Loppin fit son apprentissage de monter à cheval ; il ne faut pas omettre, à sa gloire, qu’il s’en tira comme un César. Nos louanges interrompirent un peu les regrets qu’il témoigna d’avoir entrepris, par un si grand soleil, une expédition telle que le voyage de Rome.

Nous descendîmes à Cannes, par un pays beau et fertile ; c’est une petite ville pleine de beaux orangers, qui me consolèrent d’avoir été contraint de laisser les charmants jardins d’Hyères, sans leur faire visite. De Fréjus à Cannes, en courant à bride abattue, sauf dans les montées, avec d’excellents chevaux, nous vînmes à bout de faire trois postes en six heures. Bien des gens noient leur chagrin dans le vin ; mais là je noyai le mien dans la limonade, et quelle limonade ! Je veux vous en envoyer de la fraîche.

Enfin, le lendemain matin nous arrivâmes las et recrus à Antibes, par un chemin de sable qu’on suit tout le long de la mer, ayant fait en tout cent quarante-trois lieues par terre, depuis notre départ de Dijon. Je m’attendois à me jeter dans la felouque tout en descendant de cheval ; mais la misérable n’étoit pas encore arrivée. Il faut donc, en attendant, vous dire un mot d’ Antibes. C’est une petite place longue et étroite, qui me parut bien fortifiée du côté de la terre ; son port est joli. Il avoit d’abord été