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Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/97

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livres, soil pour les tableaux, la plupart de l'école de Lombardie. Je fus très-satisfait entre autres d'une Famille- Sainte, de Jules-César Procaccini, fort approchant de la manière de Raphaël ; d'une tête, de Lucca Giordano, d'un travail prodigieux ; d'un portrait, du Titien, peint par lui-même, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans ; d'un tableau de l'Albane, très-singulier en ce qu'il est de sa première manière, tenant beaucoup du flamand, ou plutôt de Calvart (Dionisio Fiammingo), qui fut le maître de l'Albane. Il n'a presque point fait de ces sortes d'ouvrages, qui n'ont rien de ressemblant à ce qu'il fît ensuite ; mais je fus surtout bien content d'une tête de femme, de Léonard de Vinci, où il y a une fonte de couleurs qui ne se peut pas imaginer, qu'on ne l'ait vue. Le comte Simonetta est un jeune homme fort gracieux pour les étrangers, et qui ne manque pas de connais- sances et de savoir. La comtesse, sa femme, fameuse en France par la bonne réception qu'elle a faite aux françois pendant la guerre, et par M. le marquis de Fimarcon, tient la meilleure maison de Milan. On joue très-gros jeu chez elle ; j'ai eu la sagesse de m'en abstenir, chose très- difficile à croire.


Ah ! vraiment, j'oubliois bien le meilleur ! Pour Dieu, souvenez-vous, dès que vous serez arrivés ici, d'aller visiter le petit jardin du palais Porta. Le terrain en est coupé tout de travers par une vilaine. muraille, ce qui a donné lieu de faire une des plus surprenantes choses que l'on puisse voir : c'est une perspective de bâtiments peints sur cette muraille, d'une telle tournure que tout le terrain paraît d'une régularité parfaite. On va donner du nez contre cette muraille, en comptant se promener plus loin, et l'on cherche inutilement ce qu'est devenu tout l'espace qui faisoit le pré carré. Mais ce sont de ces choses qu'il faut voir, et qui ne s'entendent jamais bien par une description.


Il faut bien, mes chers amis, que vous me pardonniez les pauvretés de toute espèce que j'entasse ici sans ordre et sans choix. Vous voyez bien que je n'ai de papier que ce présent journal, sur lequel je griffonne à la hâte le farrago de tout ce qui me revient dans la tête, sans me soucier comment. Puis, quand il y a un assez grand nombre de feuilles, je ploie cela sous une enveloppe et je