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Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome III, 1827.djvu/113

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vanité ; il les faut embesongner et tenir en haleine, et leur engendrer ceste curiosité qui les pique et resveille : laquelle, telle que dict est, ne sera ny vaine en soy, ny importune à autruy. Il doibt aussi luy former et mouler son esprit au modele et patron general du monde et de la nature, le rendre universel ; c’est-à-dire, luy representer en toutes choses la face universelle de nature : que tout le monde soit son livre : que, de quelque subject que l’on parle, il jette sa veue et sa pensée sur toute l’estendue du monde, sur tant de façons et d’opinions differentes, qui ont esté et sont au monde sur ce subject. Les plus belles ames et les plus nobles sont les plus universelles et plus libres : par ce moyen l’esprit se roidit, apprend à ne s’estonner de rien, se forme en la resolution, fermeté, constance. Bref il n’admire plus rien, qui est le plus haut et dernier poinct de sagesse : car, quoy qu’il advienne et que l’on luy dise, il trouve qu’il n’y a rien de nouveau et d’estrange au monde, que la condition humaine est capable de toutes choses, qu’ils s’en sont bien passez d’autres, et s’en passent encore ailleurs de plus vertes, plus grandes. C’est en ce sens que Socrates le sage se disoit citoyen du monde. Au contraire, il n’y a chose qui abastardisse et asservisse plus un esprit, que ne luy faire gouster et sentir qu’une certaine opinion, creance, et