Page:Chasteau - La legende de Duccio et d Orsette.pdf/12

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figurant un jardin de citronniers hanté par des bêtes chimériques, léopards, griffons, licornes, oiseaux-phénix de cent couleurs. Les trois fenêtres ouvraient sur trois horizons, et le riant Cascntin apparaissait, découpé entre les lancettes de pierres, comme les volets d’un retable. Les sommets du Pratomagne et des Alpes de la Serre semblaient de pur outremer, et plus bas, sur des collines d’un vert de sinople, s’élevaient les villes fortes des Guidi, couronnées de cyprès et de campaniles. La vallée était riche, bien arrosée de ruisseaux, bien plantée de vignes et d’olivettes. L’Arno torrentueux coulait, tout en bas, entre des peupliers.

Madame Lucrèce quittait parfois son ouvrage de broderie pour s’asseoir, avec Duccio contre ses genoux, dans l’ébrasement d’une fenêtre et conter à l’enfant toutes les singularités du pays. Elle lui disait l’histoire des comtes Guidi, les vertus de la bonne Gualdrade qui avait habité la même chambre peinte, et la légende de la méchante comtesse enfermée dans la Tour des Diables. Elle lui montrait le côté où est Arezzo, cité gibeline, et le côté où Florence, cité guelfe, fleurit derrière le haut rempart des monts ; mais elle préférait l’entretenir d’histoires édifiantes. Elle lui parlait de saint Romuald, qui fonda le monastère des Camaldules, et de saint François, qui fonda celui de la Verne, tous deux dans l’horreur des forêts sauvages, dans la neige et le vent des longs hivers, très loin des hommes, tout près du ciel. Et parce qu’elle avait une dévotion particulière à saint François, elle regardait toujours, avec une pieuse dilection, la haute masse bleuâtre de la Verne, pareille au château de poupe d’une nef qui s’incline et va sombrer.

« Ô mon fils Duccio, disait-elle, admire ce lieu vénérable où saint François fut marqué des cinq plaies du Christ. Cette montagne est la plus sainte qui soit au monde, après le Calvaire, et, dès que tu auras la force de gravir la pente rude, nous irons, en pèlerinage, baiser la pierre sacrée où le Petit Pauvre d’Assise posa ses genoux… »

Ainsi Madame Lucrèce nourrissait son fils dans l’amour du Séraphique qui avait paru, dans cette même province, soixante ans plus tôt, venant de la verte Ombrie. Elle racontait sa vie plus fleurie île miracles qu’un rosier de roses : comment il parlait aux oisillons, à la cigale, à l’eau limpide, à la claire lune, au brillant soleil, ayant un cœur paternel pour toutes les créatures de Dieu. Duccio écoutait la louange de celui qui fit de son corps et de son âme un miroir pour Jésus crucifié ; mais, souvent, l’histoire merveilleuse, qui ne lui était plus nouvelle, n’empêchait pas l’esprit puéril de s’évaguer ; et l’enfant suivait du regard, sur la route nouée à la colline, un parti de cavaliers trottant, ou quelques filles de Ponte-a-Poppi, juponnées de rouge et pareilles à de tout petits pavots effeuillés.


II

Duccio n’avait pas dix ans quand Madame Lucrèce sentit venir la mort, après une brève maladie. Étant confessée et communiée, la pieuse dame revêtit la robe des filles de sainte Claire et se fit étendre sur un lit de paille pour y mourir, comme Jésus était né, humblement. Et là, dans les transes de la mort, voyant déjà l’aube céleste blanchir les ténèbres où