Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/178

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milieu des ours et des glaces du pôle. Soldat de Jésus-Christ, vous êtes destiné à combattre et à vaincre pour la foi. Ô Dieu ! dont les voies sont incompréhensibles, c’est toi qui as conduit ce jeune confesseur dans cette grotte, afin que je lui dévoile l’avenir, et qu’en achevant de lui faire connoître sa religion, je complète en lui, par la grâce, l’œuvre que la nature a commencée ! Eudore, reposez-vous ici toute cette journée ; demain, au lever du soleil, nous irons prier Dieu sur la montagne, et je vous parlerai avant de mourir. »

« L’anachorète m’entretint encore longtemps de la beauté de la religion et des bienfaits qu’elle doit répandre un jour sur le genre humain. Ce vieillard présentoit dans ses discours un contraste extraordinaire : aussi naïf qu’un enfant, quand il étoit abandonné à la seule nature, il sembloit avoir tout oublié, ou ne rien connoître du monde, de ses grandeurs, de ses peines, de ses plaisirs ; mais quand Dieu descendoit dans son âme, Paul devenoit un génie inspiré, rempli de l’expérience du présent et des visions de l’avenir. Deux hommes se trouvoient ainsi réunis dans le même homme : on ne pouvoit dire lequel étoit le plus admirable, ou de Paul l’ignorant, ou de Paul le prophète, puisque c’étoit à la simplicité du premier qu’étoit accordée la sublimité du second.

« Après m’avoir donné des leçons pleines d’une douceur grave et d’une agréable sagesse, Paul m’invite à faire un sacrifice de louanges à l’Éternel ; il se lève, et, debout sous le palmier, il chante :

« Béni soyez-vous, Dieu de nos pères, qui n’avez pas méprisé ma bassesse !

« Solitude, ô mon épouse ! vous allez perdre celui qui trouvoit en vous des douceurs !

« Le solitaire doit avoir le corps chaste, la bouche pure, l’esprit éclairé d’une lumière divine.

« Sainte tristesse de la pénitence, percez mon âme comme un aiguillon d’or et remplissez-la d’une douleur céleste !

« Les larmes sont mères des vertus, et le malheur est un marchepied pour s’élever vers le ciel. »

« La prière du saint étoit à peine achevée qu’un doux et profond sommeil me saisit. Je m’endormis sur le lit de cendre que Paul préféroit à la couche des rois. Le soleil étoit prêt à finir son tour quand je rouvris les yeux à la lumière. L’ermite me dit :

« Levez-vous, priez, mangez, et allons sur la montagne. »

« Je lui obéis ; nous partîmes. Pendant plus de six heures nous gravîmes des rochers escarpés, et au lever du jour nous atteignîmes la pointe la plus élevée du mont Colzim.