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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/199

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Mais tandis que le ciel poursuit ses desseins, l’enfer accomplit ses menaces. Démodocus et Lasthénès s’étoient à peine liés par des serments, que la nouvelle de l’arrivée d’Hiéroclès vint consterner les habitants de la Messénie. Vous eussiez vu les mères presser leurs filles dans leurs bras, les jeux suspendus comme dans une calamité publique, l’Église en deuil, les païens même effrayés : tel est l’effet de l’apparition du méchant.

Précédé de ses licteurs, le proconsul entre dans les murs de Messène. Il fait publier aussitôt l’ordre du dénombrement des chrétiens. Lorsqu’un loup ravissant rôde autour d’une bergerie, son œil s’enflamme à l’aspect du troupeau nombreux nourri dans un gras pâturage ; la vue de la brebis excite sa faim ; et sa langue, sortant de sa gueule béante, semble déjà teinte du sang dont il brûle de s’abreuver : ainsi Hiéroclès, en proie à sa haine contre les fidèles, s’émeut à la pensée des vierges sans défense, des foibles enfants et de la foule des chrétiens qu’il va bientôt rassembler au pied de son tribunal.

Cependant, poussé par le plus dangereux des esprits de l’abîme, il monte au sommet de l’Ithome. Il cherche des yeux, dans la forêt d’oliviers, les colonnes du temple d’Homère. Ô surprise ! il ne trouve point au sanctuaire le gardien de l’autel. Il apprend que Démodocus et sa fille sont allés visiter Lasthénès, dont le fils a rencontré Cymodocée au milieu des bois du Taygète. À cette nouvelle inattendue, Hiéroclès change de visage : mille pensées confuses s’élèvent dans son sein. Lasthénès est le chrétien le plus riche de la Grèce : il est le père d’Eudore, ennemi puissant d’Hiéroclès. Comment Eudore a-t-il quitté l’armée de Constance ! Quelle fatalité l’a ramené sur ces rivages pour traverser encore les desseins du proconsul d’Achaïe ? Auroit-il touché le cœur de Cymodocée ?… Hiéroclès brûle d’éclaircir ses soupçons, et l’inquiétude qui le dévore ne lui permet aucun retard.

Non loin de la retraite de Lasthénès, près des ruines d’un temple qu’Oreste avoit consacré aux Grâces et aux Furies, on voyoit s’élever un magnifique palais. Hiéroclès l’avoit fait bâtir par un des descendants d’Ictinus et de Phidias, lorsqu’il espéroit ravir Cymodocée à son père, et cacher ensuite sa victime dans cette délicieuse demeure. Rappelé à la cour des empereurs, il n’avoit point eu le temps d’exécuter son noir projet. Aujourd’hui il veut se rendre à ce palais ; il ordonne que les chrétiens de l’Arcadie viennent de toutes parts y porter leurs noms. Voisin de la demeure de Lasthénès, il espère ainsi revoir plus tôt Cymodocée et découvrir quel dessein a pu conduire la prêtresse des Muses chez l’adorateur du Christ.

Plus prompte que l’éclair, la Renommée a bientôt publié la nouvelle