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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/200

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de l’arrivée d’Hiéroclès, depuis les sommets d’Apésante, montagne respectée des peuples de l’Argolide, jusqu’au promontoire de Maléo. qui voit les astres fatigués se reposer sur sa cime. Elle raconte en même temps les maux qui menacent les chrétiens ; Démodocus en frémit. Souffrira-t-il que sa fille embrasse une religion qu’environnent les périls ? Mais peut-il violer ses serments ? Peut-il désoler Cymodocée, qui s’obstine à vouloir Eudore pour époux ?

Des pensées tumultueuses s’élèvent également au fond du cœur d’Eudore ; les démons lui livrent un secret combat. Dans l’espoir de le séduire, ils arment contre lui la générosité de ses propres sentiments. Amener une âme à Dieu en dépit de tous les dangers et de tous les obstacles est le plus grand bonheur du chrétien ; mais Eudore ne se sent point encore ce zèle ardent et ce courage sublime. L’enfer, qui veut faire naître des rivalités funestes, mais qui craint de voir Cymodocée passer sous le joug de la croix, cherche à obscurcir la foi du fils de Lasthénès. Satan appelle Astarté, lui ordonne d’attaquer le jeune chrétien qu’il a si souvent vaincu, et de l’arracher à la puissance de l’ange des saintes amours.

Aussitôt le démon de la volupté se revêt de tous ses charmes. Il prend à la main une torche odorante et traverse les bois de l’Arcadie. Les zéphyrs agitent doucement la lumière du flambeau. Le fantôme magique fait naître sur ses pas une foule de prestiges. La nature semble se ranimer à sa présence, la colombe gémit, le rossignol soupire, le cerf suit en bramant sa légère compagne. Les esprits séducteurs qui enchantent les forêts de l’Alphée entr’ouvrent les chênes amollis, ot montrent çà et là leurs têtes de nymphes. On entend des voix mystérieuses dans la cime des arbres, tandis que les divinités champêtres dansent avec des chaînes de fleurs autour du démon de la volupté.

Astarté entre dans la grotte d’Eudore, et commence à lui souffler les pensées d’un amour purement humain.

« Tu peux, lui dit-il tout bas, tu peux mourir pour ton Dieu, si ton Dieu t’appelle ; mais comment précipiter Cymodocée dans tes malheurs ? Regarde ces yeux qui lancent des flammes, ce sein qui fait naître les désirs : veux-tu donc courber les grâces sous le poids des chaînes ? Ah ! qu’il seroit plus sage d’adoucir ta farouche vertu ! Laisse à Cymodocée ses fables ingénieuses : le ciel prendra-t-il sa foudre, parce que ton épouse, ou, si tu le voulois, ton amante, couvrira de quelques fleurs les autels élégants des Muses et chantera les poétiques songes d’Homère ? Aie pitié de la jeunesse et de la beauté. Tu n’as pas toujours été aussi barbare. »

Telles sont les inspirations dangereuses de l’esprit de ténèbres. En