Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même temps, d’un air enjoué, avec un sourire perfide, il lance contre Eudore les mêmes dards dont il perça jadis le plus sage des rois. Mais l’ange des saintes amours défend le fils de Lasthénès. Aux feux des sens il oppose les feux de l’âme, à une tendresse d’un moment une tendresse éternelle. Il détourne d’un souffle pur les traits du démon de la volupté, et les flèches impuissantes viennent s’émousser sur le cilice d’Eudore, comme sur un bouclier de diamant.

Toutefois, le faux honneur du monde et un attachement encore timide l’emportent un ce moment dans le cœur du soldat pénitent. Il ne veut point avoir surpris la parole de Démodocus ; il craint d’exposer Cymodocée. Il va trouver le prêtre d’Homère :

« Je viens, lui dit-il, vous délier de votre serment. La félicité de mes jours seroit de voir Cymodocée chrétienne et de recevoir sa main à l’autel du véritable Dieu ; mais on va faire le dénombrement du troupeau choisi. Quoique ce dénombrement n’annonce encore rien de funeste, vos sentiments sont alarmés peut-être, et l’avenir repose dans le sein de Dieu : que le beau présent que vous consentiez à me faire soit libre, que votre volonté seule décide du destin de Cymodocée et du bonheur de ma vie. »

« Mortel généreux, répondit le vieillard touché jusqu’aux larmes, un dieu mit au fond de tes entrailles la magnanimité des rois des premiers temps ; et quand ta mère te donna le jour au milieu des lauriers et des bandelettes, ce fut Jupiter même qui plaça dans ton sein ton noble cœur ! Ô mon fils ! que veux-tu que je fasse ? Tu sais si ma fille m’est chère ! Ne pourroit-elle devenir ton épouse sans embrasser la foi des chrétiens ? Nous serions ainsi délivrés de toutes craintes, et sans exposer Cymodocée à des périls nouveaux, tu la protégerois contre l’impie Hiéroclès. »

« Démodocus, répondit tristement Eudore, je puis, par cet effort plus qu’humain, renoncer à l’amour de votre fille ; mais sachez qu’un chrétien ne peut recevoir une épouse souillée de l’encens des idoles. Quel ministre voudroit bénir au pied de la croix l’alliance de l’enfer et du ciel ? Mon fils entendra-t-il prononcer sur son berceau le nom du Fils de l’homme et le nom de Jupiter ? Sera-ce la Vierge sans tache ou l’impudique Vénus qui donnera des leçons à ma fille ? Démodocus, nos lois nous défendent de nous unir à des femmes étrangères au culte du Dieu d’Israël : nous voulons des épouses qui partagent nos dangers dans cette vie, et que nous puissions retrouver au ciel après notre mort. »

Cymodocée avoit entendu, d’un lieu voisin, la voix confuse de son père et du fils de Lasthénès. L’ange des saintes amours l’inspire, et la mère du Sauveur la remplit de résolutions généreuses : elle vole à