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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/202

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l’appartement de Démodocus ; elle tombe aux pieds du vieillard, et joignant des mains suppliantes :

« Mon père, s’écrie-t-elle, les dieux me préservent d’affliger tes vieux ans ! mais je veux être l’épouse d’Eudore. Je serai chrétienne sans cesser d’être ta fille soumise et dévouée ! Ne crains point pour moi les périls : l’amour me donnera la force de les surmonter. »

À ces paroles, Eudore levant les bras au ciel :

« Dieu de mes pères, qu’ai-je fait pour mériter une pareille récompense ! Toute ma vie j’ai offensé vos lois, et vous me comblez de félicité ! Accomplissez vos décrets éternels ! Achevez d’attirer à vous cet ange d’innocence. Ce sont ses propres vertus qui la portent dans votre sein, et non l’amour qu’un chrétien trop coupable eut le bonheur de lui inspirer ! »

Il dit, et l’on entend les pas précipités d’un messager rapide : les portes s’ouvrent, un esclave de Démodocus paroît : il arrive du temple d’Homère ; la sueur coule de son front, ses pieds nus et ses cheveux en désordre sont couverts de poussière ; il porte au bras gauche un bouclier fracassé, avec lequel il a brisé les branches des chênes en traversant l’épaisseur des bois. Il prononce ces mots :

« Démodocus, Hiéroclès a paru au temple de ton aïeul ; sa bouche étoit pleine de menaces. Fier de la protection de Galérius, il parle avec fureur de ta Cymodocée ; il jure, par le lit de fer des Euménides, que ta fille passera dans sa couche, dût le noir chagrin, compagnon des Parques, s’asseoir sur le seuil de ta demeure pendant le reste de tes jours. »

Une pâleur mortelle se répand sur le front de Démodocus ; ses genoux tremblants le supportent à peine, mais ce nouveau malheur fixe ses résolutions. Des ordres sévères contre les fidèles ne menaceroient Cymodocée, devenue chrétienne, que d’un péril incertain et éloigné ; l’amour du proconsul, au contraire, expose la prêtresse des Muses à des maux aussi prochains qu’inévitables. Dans ce pressant danger, la protection d’Eudore semble donc à Démodocus un bonheur inespéré et le seul refuge qui reste à Cymodocée contre les violences d’Hiéroclès.

Le vieillard prend sa fille dans ses bras :

« Mon enfant, lui dit-il, je ne violerai point mes serments, je serai fidèle à la parole que je t’ai jurée : reste à jamais l’épouse d’Eudore ; c’est maintenant à lui de te défendre, et comme la mère de ses enfants, et comme la compagne de ses jours. Peut-être que les dieux se plairont à exercer ta vertu ; mais, ô Cymodocée ! tu ne te laisseras point abattre. S’il est des muses chrétiennes, elles te prêteront leurs secours : leurs