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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/203

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chants pleins de sagesse fortifieront ton cœur contre l’attaque de tes ennemis. »

Lasthénès entra comme Démodocus achevoit de prononcer ces mots.

Eudore posa la main sur son cœur, en signe de reconnoissance et de tendresse, prononça ces paroles avec un grand éclat de voix et les yeux attachés à la terre :

« Je reçois, ô Démodocus ! l’inestimable don que vous faites à Dieu par mes mains. Je défendrai au prix de tout mon sang la vierge que vous me confiez : j’en jure par vous, ô Lasthénès ! ô mon père ! Je serai fidèle à Cymodocée. »

Après avoir reçu ce serment, le prêtre des dieux partit avec sa fille, dans le dessein de fermer le temple d’Homère et de se rendre ensuite à Lacédémone, où la famille de Lasthénès devoit l’attendre chez Cyrille.

Démodocus et Cymodocée prennent les sentiers les plus déserts pour éviter la rencontre de leur persécuteur ; mais déjà le proconsul étoit arrivé au palais de l’Alphée. Ces riantes solitudes, le cristal si pur du Ladon, les croupes des montagnes couvertes de pins, la fraîcheur des vallées de l’Arcadie et les scènes tranquilles que ces doux noms rappellent, rien ne peut calmer le trouble d’Hiéroclès. Ses licteurs vont de toutes parts rassembler les fidèles, dans les paisibles retraites où jadis les bergers d’Évandre menoient une vie moins innocente que celle de ces premiers chrétiens. Du fond des grottes consacrées à Pan et aux divinités champêtres, on voit descendre des troupeiux de femmes, d’enfants et de vieillards, que les soldats chassent devant eux. En face du palais d’Hiéroclès, devant une vaste prairie que bordoient les eaux du Ladon, s’élevoit le tribunal du gouverneur romain. Assis sur sa chaise d’ivoire, Hiéroclès recevoit les noms qui dévoient remplir les listes fatales. Tout à coup un murmure se fait entendre ; les chrétiens tournent la tête et reconnoissent la famille puissante de Lasthénès, que l’on amène au pied du tribunal.

Comme un chasseur des Alpes qui poursuit avec de grands cris une troupe de chamois bondissants parmi les rochers et les cascades ; si tout à coup un sanglier vient à s’élever au milieu des faons fugitifs, le chasseur effrayé recule, et reste les yeux fixés sur le terrible animal, qui hérisse son poil et découvre ses défenses meurtrières : ainsi Hiéroclès reste interdit à l’aspect d’Eudore, qu’il reconnoît au milieu de sa famille. Toute son ancienne inimitié se réveille ; il ne voit point, il est vrai, Cymodocée, mais la beauté du fils de Lasthénès, son air mâle et guerrier, l’admiration qu’il inspire, augmentent ses alarmes. Plusieurs soldats de la garde du proconsul, qui avoient fait la guerre sous Eudore, environnent leur ancien général et le comblent de béné-