Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dictions : les uns vantent sa douceur, d’autres sa générosité, tous sa valeur et sa gloire. Ceux-ci rappellent la bataille des Francs où il remporta la couronne civique, ceux-là parlent de ses victoires sur les Bretons. On répète de toutes parts : « C’est ce jeune guerrier couvert de blessures qui triompha de Carrausius ; c’est le maître de la cavalerie, c’est le préfet des Gaules ; c’est le favori de Constance et l’ami du prince Constantin. » Ces discours font pâlir sur son trône le proconsul indigné : il congédie brusquement l’assemblée, et se renferme dans son palais.

Hiéroclès ne doute plus que son rival ne soit aimé de Cymodocée ; il juge que l’amour a suivi la gloire. Mille projets sinistres se présentent à son esprit : il veut enlever de force la fille de Démodocus, il veut jeter Eudore au fond des cachots ; mais bientôt il craint la faveur dont le fils de Lasthénès jouit à la cour. Il n’ose attaquer ouvertement un triomphateur qui fut décoré des dignités de l’empire ; il connoît la modération de Dioclétien, toujours ennemi de la violence, il prend donc un moyen plus lent, mais plus sûr, de satisfaire la haine qu’il nourrit depuis si longtemps contre Eudore : il écrit à Rome que les chrétiens de l’Achaïe sont prêts à se soulever, qu’ils s’opposent au dénombrement, et qu’ils ont à leur tête cet Arcadien exilé par l’empereur à l’armée de Constance.

Hiéroclès espère ainsi faire bannir Eudore de la Grèce et pouvoir poursuivre sans obstacle ses coupables projets sur Cymodocée. Cependant il environne son rival d’espions et de délateurs, et cherche à pénétrer un secret qui doit causer le malheur de sa vie. Le fils de Lasthénès ne s’étoit point endormi sur les dangers de ses frères. Ce n’étoit plus ce jeune homme incertain dans ses désirs chimériques, dans ses projets, nourri de songes et d’illusion : c’étoit un homme éprouvé par le malheur, capable des actions les plus graves comme les plus hautes, refléchi, sérieux, occupé, éloquent au conseil, brave à la guerre, et conservant des passions d’autant plus propres à atteindre un but élevé, qu’elles n’étoient plus mêlées dans son âme aux petites choses. Il connoissoit l’empire d’Hiéroclès sur Galérius, et de Galérius sur Dioclétien. Il prévoyoit que le sophiste persécuteur de Cymodocée s’abandonneroit aux plus noires fureurs contre les chrétiens, quand il viendroit à découvrir l’amour et la conversion de la prêtresse des Muses. Eudore aperçoit d’un coup d’œil tous les maux dont l’Église est menacée, et il cherche à les détourner : avant de se rendre à Lacédémone avec sa famille, il fit partir un messager fidèle, chargé d’instruire Constantin de la vérité et de prévenir auprès d’Auguste les dangereux rapports d’Hiéroclès.