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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/209

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les vastes régions de l’enfer, s’ouvre un cachot, séjour du plus infortuné des habitants de l’abîme. C’est là que le démon de la jalousie fait entendre ses éternels hurlements. Couché parmi des vipères et d’affreux reptiles, jamais le sommeil n’approcha de ses yeux. L’inquiétude, le soupçon, la vengeance, le désespoir et une sorte d’amour féroce agitent ses regards, des chimères occupent et tourmentent son esprit : il tressaille ; il croit entendre des bruits mystérieux, il croit poursuivre de vains fantômes. Pour éteindre sa soif brûlante, il boit dans une coupe d’airain un poison composé de ses sueurs et de ses larmes. Ses lèvres tremblantes respirent l’homicide : au défaut de la victime qu’il cherche sans cesse, il se frappe lui-même d’un poignard, oubliant qu’il est immortel.

Le prince des ténèbres, descendu vers ce monstre, s’arrête à l’entrée de la caverne.

« Archange puissant, dit-il, je t’ai toujours distingué des innombrables esprits de mon empire. Aujourd’hui tu peux me prouver ta reconnoissance : il faut allumer dans le sein d’un mortel cette flamme que tu mis autrefois dans le cœur d’Hérode. Il faut perdre les chrétiens ; il faut reprendre le sceptre du monde : l’entreprise est digne de ton courage. Viens, ô mon fils ! seconde les vastes desseins de ton roi. »

Le démon de la jalousie retire de sa bouche la coupe empoisonnée, et essuyant ses lèvres avec sa chevelure de serpents :

« Ô Satan ! répondit-il avec un profond soupir, le poids de l’enfer ne courbera-t-il jamais ton front superbe ? Veux-tu m’exposer encore aux coups de cette foudre qui t’a précipité dans le gouffre des pleurs ? Que peux-tu contre la croix ? une femme a écrasé ta tête orgueilleuse. Je hais la lumière du ciel. Les chastes amours des chrétiens ont détruit mon empire sur la terre. Poursuis, si tu le veux, tes projets, mais laisse-moi jouir en paix de ma rage et ne viens plus troubler mes fureurs. »

Il dit, et d’une main forcenée il arrache les serpents attachés à ses flancs et les déchire avec ses dents bruyantes.

Satan, frémissant de colère :

« Ange pusillanime, d’où te vient aujourd’hui cette crainte ? Le repentir, cette lâche vertu des chrétiens, seroit entré dans ton cœur ? Regarde autour de toi : voilà ton éternelle demeure ! À des maux sans fin sache opposer une haine sans terme, et bannis d’inutiles regrets. Ose me suivre : je ferai bientôt disparoître du monde ces chastes amours qui t’épouvantent. Je te rendrai ton empire sur l’homme abattu. Mais n’attends pas que mon bras te contraigne à m’accorder ce que j’ai daigné demander à ton zèle. »