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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/210

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À cette espérance, à cette menace, le démon de la jalousie se laisse, entraîner.

Satan, plein de joie, monte aussitôt sur un char de feu, et fait placer à ses côtés le monstre qu’il appelle son fils ; il l’instruit de ce qu’il doit faire et lui nomme la victime qu’il doit frapper. Pour éviter l’importunité des esprits de ténèbres, les deux chefs de l’enfer traversent invisibles le séjour de la douleur. La mort seule les voit sortir des portes de l’abîme et les salue par un sourire affreux. Bientôt ils touchent à la terre et descendent dans le vallon de l’Alphée. En proie à son fatal amour, le proconsul d’Achaïe étoit alors agité d’un sommeil pénible. Le démon de la jalousie se cache sous la figure d’un vieil augure, confident des peines secrètes d’Hiéroclès. Il prend le visage ridé de l’antique devin, sa voix sombre, son front chauve et sa pâleur religieuse. Sa tête est couverte d’un long voile ; les bandelettes sacrées descendent sur ses épaules ; il s’approche du lit de l’impie comme un songe funeste. Du rameau qu’il tient à la main il touche la poitrine d’Hiéroclès :

« Tu dors, lui dit-il, et ton ennemi triomphe ! Cymodocée, conduite à Lacédémone, embrasse la religion des chrétiens, et va bientôt devenir l’épouse du fils de Lasthénès ! Réveille-toi, saisissons ta proie ; et pour l’enlever à ton rival, perdons, s’il le faut, la race entière des chrétiens. »

En achevant de prononcer ces mots, le démon de la jalousie arrache de sa tête le voile et les bandelettes sacerdotales. Il reprend son horrible forme : il se penche sur Hiéroclès ; il le serre étroitement dans ses bras, et fait couler sur lui un sang impur. Rempli de terreur, l’infortuné se débat sous le poids du fantôme et se réveille en poussant un cri : tel un homme enseveli vivant au champ des tombeaux sort avec effroi de sa léthargie, frappe du front son cercueil et fait entendre une plainte dans le sein de la terre. Tous les poisons du monstre infernal ont passé dans l’âme de l’ennemi des fidèles. Il s’élance de son lit, les cheveux hérissés. Il appelle ses gardes : il veut devancer les ordres d’Auguste, il veut qu’on arrête les chrétiens, qu’on disperse leurs assemblées ; il parle de conspiration, d’un projet fatal à l’empire.

« Il faut du sang !… s’écrie-t-il. Un feu dévorant coule dans tous les cœurs… Ne consultons point les entrailles des victimes : les vœux, les prières, les autels, ne peuvent rien pour nous ! »

L’insensé ! bientôt les délateurs arrivés de Lacédémone lui confirment la vérité du songe qui le poursuit.

Eudore, résigné aux décrets de la Providence, et désirant avec ardeur la gloire du martyre, ne croyoit pas toutefois l’orage si près de