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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/216

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À peine les vierges chrétiennes avoient-elies cessé leur cantique, qu’on entendit au dehors d’autres voix et d’autres concerts. Démodocus avoit rassemblé une troupe de ses parents et de ses amis, et faisoit chanter à son tour l’union d’Eudore et de Cymodocée :

« L’étoile du soir a brillé : jeunes hommes, abandonnez les tables du festin. Déjà la vierge paroît : chantons l’Hymen, chantons l’Hyménée.

« Fils d’Uranie, cultivateur des collines de l’Hélicon, toi qui conduis à l’époux la vierge timide, Hymen, viens fouler ces tapis au son de ta voix harmonieuse, et secoue dans ta main la torche à la chevelure d’or.

« Ouvrez les portes de la chambre nuptiale, la vierge s’avance ! La pudeur ralentit ses pas ; elle pleure en quittant la maison paternelle. Viens, nouvelle épouse, un mari fidèle se veut reposer sur ton sein.

« Que des enfants plus beaux que le jour sortent de ce fécond hyménée. Je veux voir un jeune Eudore suspendu au sein de Cymodocée, tendre ses foibles mains à sa mère et sourire doucement au guerrier qui lui donna le jour ! »

Ainsi les deux religions se réunissoient pour célébrer l’union d’un couple qui sembloit heureux, à l’instant même où les plus grands périls menaçoientsa tête. À peine les chants d’allégresse avoient cessé, que l’on entend retentir le pas régulier des soldats et le bruit des armes. Une rumeur confuse s’élève dans les airs, des hommes farouches entrent dans l’asile de la paix, le fer et la flamme à la main. La foule, épouvantée, se précipite par toutes les portes de l’église. Étouffés dans les étroits passages de la nef et des vestibules, les femmes, les enfants, les vieillards poussent des cris lamentables ; tout fuit, tout se disperse. Cyrille, revêtu de ses habits pontificaux, et tranquille devant le Saint des saints, est arrêté à l’autel. Un centurion, chargé des ordres d’Hiéroclès, cherche Cymodocée, la reconnoît au milieu de la foule, et veut porter sur elle une main profane. À l’instant Eudore, cet agneau paisible, devient un lion rugissant. Il se précipite sur le centurion, lui arrache son épée, la brise, et, saisissant dans ses bras la fille de Démodocus, il l’emporte à travers les ombres. Le centurion, désarmé, appelle ses soldats, et poursuit le fils de Lasthénès. Eudore, redoublant de vitesse, touche déjà la tombe de Léonidas ; mais il entend derrière lui la marche précipitée des satellites d’Hiéroclès. Ses forces, épuisées, trompent son amour ; il ne peut plus porter son fardeau, il dépose son épouse derrière le monument sacré. Auprès du tombeau s’élevoit le trophée d’armes des guerriers des Thermopyles. Eudore saisit la lance du roi de Lacédémone ; les soldats arrivent.