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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/226

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ples ont confiés à mes soins ! Que n’ai-je l’âge où je parcourois les villes et les pays étrangers pour apprendre à connoître les hommes ! Comme je suivrois ma Cymodocée ! Hélas ! je ne te verrai donc plus danser avec les vierges sur le sommet de l’Ithome ! Rose de Messénie, je te chercherai en vain dans les bois du temple ! Cymodocée, je n’entendrai plus ta douce voix retentir dans les chœurs des sacrifices ; tu ne me présenteras plus l’orge nouvelle ou le couteau sacré ; je contemplerai, suspendue à l’autel, ta lyre couverte de poussière et ses cordes brisées ; mes yeux, pleins de larmes, verront se dessécher aux pieds de la statue d’Homère les couronnes de fleurs qu’embellissoit ta chevelure. Hélas ! j’avois compté sur toi pour me fermer les yeux ; je mourrai donc sans pouvoir te bénir en quittant la vie ? Le lit où j’exhalerai mon dernier soupir sera solitaire, car, ma fille, je n’espère plus te revoir ; j’entends le vieux nocher qui m’appelle ; à mon âge, il ne faut pas compter sur les jours : lorsque la graine de la plante est mûre et séchée, elle devient légère et le moindre vent l’emporte. »

Comme le prêtre d’Homère prononçoit ces mots, des applaudissements font retentir le théâtre de Bacchus ; l’acteur qui représentoit Œdipe à Colone élève la voix, et ces paroles viennent frapper les oreilles d’Eudore, de Démodocus et de Cymodocée :

« Ô Thésée ! unissez dans mes mains vos mains à celles de ma fille ! promettez-moi de servir de père à ma chère Antigone ! »

« Je le promets, » s’écria Eudore, appliquant à ses destinées les vers du poëte.

« Elle est donc à toi, » dit Démodocus en lui tendant les bras.

Eudore s’y précipite, le vieillard presse ses deux enfants contre son cœur : ainsi l’on voit un saule creusé par les ans, dont le sein entr’ouvert porte quelques fleurs de la prairie ; l’arbre étend son ombrage antique sur ces jeunes trésors et semble n’implorer que pour eux le zéphyr et la rosée ; mais bientôt un brûlant orage renverse et le saule et les fleurs, aimables enfants de la terre.

La lune parut à l’horizon ; son front d’argent se couronnoit des rayons d’or du soleil, dont le disque élargi s’enfonçoit dans les flots. C’étoit l’heure qui ramène aux nautoniers le veni favorable pour sortir du port de l’Altique. Les chars et les esclaves de Démodocus l’attendoient au bas de la citadelle, à l’entrée de la rue des Trépieds. Il fallut descendre, il fallut se soumettre à sa destinée ; les chars entraînent les trois infortunés qui n’avoient plus la force de gémir. Ils ont bientôt passé la porte du Pirée, les tombeaux d’Antiope, de Ménandre et d’Euripide ; ils tournent vers le temple ruiné de Cérès, et, après avoir traversé le champ d’Aristide, ils touchent au port de Phalère. Le