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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/227

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vent venoit de se lever ; les flots, légèrement agités, battoient le rivage ; les galères déployoient leurs voiles, on entendoit les cris des matelots qui levoient l’ancre avec de grands efforts. Dorothée attendoit les passagers sur la grève, et les barques des vaisseaux étoient déjà prêtes à les recevoir. Eudore, Démodocus et Cymodocée descendent des chars arrêtés au bord des vagues. Le prêtre d’Homère ne pouvoit plus se soutenir, ses genoux se déroboient sous lui. Il disoit à sa fille d’une voix éteinte :

« Ce port me sera funeste comme au père de Thésée : je ne verrai point revenir ta voile blanche ! »

Le fils de Lasthénès et la jeune catéchumène s’inclinent devant Démodocus, et lui demandent sa dernière bénédiction : un pied dans la mer et le visage tourné vers la rive, ils avoient l’air d’offrir un sacrifice expiatoire à la manière antique. Démodocus lève les mains et bénit ses deux enfants du fond de son cœur, mais sans pouvoir prononcer une parole. Eudore soutient Cymodocée, et lui remet un écrit pour la pieuse Hélène ; ensuite, imprimant avec respect le baiser des adieux sur le front de la vierge éplorée :

« Mon épouse, lui dit-il, devenez bientôt chrétienne ; souvenez-vous d’Eudore, et que du haut de la tour du Troupeau la fille de Jérusalem jette quelquefois un regard sur la mer qui nous sépare. »

« Mon père, dit Cymodocée d’une voix entrecoupée par les sanglots, mon tendre père, vivez pour moi, je tâcherai de vivre pour vous. Eudore ! vous reverrai-je un jour ? reverrai-je mon père ? »

Alors Eudore, inspiré :

« Oui, nous nous reverrons pour ne nous quitter jamais ! »

Les mariniers enlèvent Cymodocée, les esclaves entraînent Démodocus. Eudore se jette dans la barque qui le transporte à son vaisseau. La flotte sort de Phalère, et les matelots couronnés de fleurs font blanchir la mer sous l’effort des rames ; ils invoquent les Néréides, et Palémon, et Thétys, et saluent en s’éloignant la tombe sacrée de Thémistocle.

Le vaisseau de Cymodocée prend sa course vers l’orient, et celui du fils de Lasthénès tourne la proue vers l’Italie.

La divine Mère du Sauveur veilloit sur les jours de l’innocente pèlerine : elle envoie Gabriel à l’ange des mers, afin de lui commander de ne laisser souffler que la plus douce haleine des vents. Aussitôt Gabriel, après avoir détaché de ses épaules ses ailes blanches, bordées d’or, se plonge du ciel dans les flots.

Aux sources de l’Océan, sous des grottes profondes, toujours retentissant du bruit des vagues, habite l’ange sévère qui veille aux mou-