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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/228

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vements de l’abîme. Pour l’instruire de ses devoirs, la sagesse le prit avec elle, lorsqu’à la naissance des temps elle se promena sous la mer. Ce fut lui qui, par l’ordre de Dieu, ouvrit au déluge les cataractes du ciel ; c’est lui qui, dans les derniers jours du monde, doit une seconde fois rouler les flots sur le sommet des montagnes. Placé au berceau de tous les fleuves, il dirige leur cours, enfle ou fait décroître leurs ondes ; il repousse dans la nuit des pôles et retient sous des chaînes de glace les brouillards, les nuages et les tempêtes ; il connoît les écueils les plus cachés, les détroits les plus déserts, les terres les plus lointaines, et les découvre tour à tour au génie de l’homme ; il voit d’un regard et les tristes régions du Nord et les brillants climats des tropiques ; deux fois par jour il soulève les écluses de l’Océan, et, rétablissant avec sa main l’équilibre du globe, à chaque équinoxe il ramène la terre sous les feux obliques du soleil.

Gabriel pénètre dans le sein des mers : des nations entières et des continents inconnus dorment engloutis dans le gouffre des ondes. Combien de monstres divers que ne verra jamais l’œil des mortels ! Quel puissant rayon de vie jusque dans ces profondeurs ténébreuses ! Mais aussi, que de débris et de naufrages ! Gabriel plaint les hommes et admire la puissance divine. Bientôt il aperçoit l’ange des mers, attentif à quelques grandes révolutions des eaux : assis sur un trône de cristal, il tenoit à la main un frein d’or ; sa chevelure verte descendoit humide sur ses épaules et une écharpe d’azur enveioppoit ses formes divines. Gabriel le salue avec majesté.

« Esprit redoutable, lui dit-il, ô mon frère ! le pouvoir que l’Éternel vous a confié montre assez le haut rang que vous occupez dans les hiérarchies célestes ! Quel monde nouveau ! Quelle intelligence sublime ! Que vous êtes heureux de connoître ces merveilleux secrets ! »

« Divin messager, répondit l’ange des mers, quel que soit le sujet qui vous amène, je reçois avec joie un hôte tel que vous. Pour mieux admirer la puissance de notre Maître, il faudroit l’avoir vu, comme moi, poser les fondements de cet empire : j’étois présent quand il divisa en deux parts les eaux de l’abîme ; je le vis assujettir les flots aux mouvements des astres et lier le destin de l’Océan à celui de la lime et du soleil ; il couvrit Léviathan d’une cuirasse de fer, et l’envoya se jouer dans ces gouffres ; il planta des forêts de corail sous les ondes ; il les peupla de poissons et d’oiseaux ; il fit sortir des îles riantes du sein d’un élément furieux ; il régla le cours des vents ; il soumit les orages à des lois, et, s’arrêtant sur le rivage, il dit à la mer : Tu n’iras pas plus loin, et tu briseras ici l’orgueil de tes flots. Illustre serviteur de Marie, hâtez-vous de m’apprendra quel ordre sou-