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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/229

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verain vous a fait descendre dans ces grottes mobiles. Les temps sont-ils accomplis ? Faut-il rassembler les nuages ? Faut-il rompre les digues de l’Océan ? Abandonnant l’univers au chaos, dois-je remonter avec vous dans les cieux ? »

« Je vous apporte un message de paix, dit Gabriel avec un sourire : l’homme est toujours l’objet des complaisances de l’Éternel ; la croix va triompher sur la terre ; Satan va rentrer dans l’enfer, Marie vous ordonne de conduire aux ports ces deux époux que vous voyez s’éloigner des bords de la Grèce. Ne laissez souffler sur les ondes que la plus douce haleine des vents. »

« Qu’il soit fait selon la volonté de l’Étoile des mers ! » dit en s’inclinant respectueusement l’ange qui gouverne les tempêtes. « Puisse Satan être bientôt renfermé dans les lieux de son supplice ! souvent il trouble mon repos et déchaîne malgré moi les orages. »

En prononçant ces mots, le puissant esprit choisit les vents doux et parfumés qui caressent les rivages de l’Inde et de l’océan Pacifique, il les dirige dans les voiles d’Eudore et de Cymodocée, et fait avancer les deux galères, par un même souffle, à deux ports opposés.

Favorisé de cette bénigne influence du ciel, Eudore touche bientôt au rivage d’Ostie. Il vole à Rome. Constantin l’embrasse avec tendresse, et lui fait le récit des malheurs de l’Église et des intrigues de la cour.

Le sénat étoit convoqué pour délibérer sur le sort des fidèles. Rome reposoit dans l’attente et dans la terreur. Toutefois Dioclétien, par un dernier acte de justice, en cédant aux violences de Galérius, avoit voulu que les chrétiens eussent un défenseur au sénat. Les prêtres les plus illustres de la capitale de l’empire s’occupoient dans ce moment du choix d’un orateur digne de plaider la cause de la croix. Le concile, que présidoit Marcellin, étoit assemblé à la lueur des lampes dans les catacombes : ces Pères, assis sur les tombeaux des martyrs, ressembloient à de vieux guerriers délibérant sur le champ de bataille ou à des rois blessés en défendant leurs peuples. Il n’y avoit pas un de ces confesseurs qui ne portât sur ses membres les marques d’une glorieuse persécution : l’un avoit perdu l’usage de ses mains, l’autre ne voyoit plus la lumière des cieux ; la langue de celui-ci avoit été coupée, mais le cœur lui restoit pour louer l’Éternel ; celui-là se montroit tout mutilé par le bûcher, comme une victime à demi dévorée des feux du sacrifice. Les saints vieillards ne pouvoient s’accorder sur le choix d’un défenseur : aucun d’eux n’étoit éloquent que par ses vertus, et chacun craignoit de compromettre le sort des fidèles. Le pontife de Rome proposa de s’en référer à la décision du ciel. On