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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/231

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calomnies n’avoient pas réussi complètement à la cour. Il avoit cru renverser un rival, et ce rival étoit simplement rappelé sous l’œil vigilant du chef de l’empire. Il tremble que le fils de Lasthénès ne parvienne à le perdre dans l’esprit de Dioclétien. Afin de prévenir quelque disgrâce soudaine, il se détermine à voler auprès de Galérius, qui ne cessoit de le redemander à ses conseils. L’esprit de ténèbres console en même temps l’apostat.

« Hiéroclès, lui dit-il secrètement, tu seras bientôt assez puissant pour atteindre Cymodocée jusque dans les bras d’Hélène. Cette vierge imprudente, en changeant de religion, t’offre une espérance nouvelle. Si tu peux déterminer les princes à persécuter les chrétiens, ton rival se trouvera d’abord enveloppé dans le massacre ; tu vaincras ensuite la fille d’Homère par la crainte des tourments, ou tu la réclameras comme une esclave chrétienne échappée à ton pouvoir. »

Le sophiste, qui prend ces conseils pour les inspirations de son cœur, s’applaudit de la profondeur de son génie : il ne sait pas qu’il n’est que l’instrument des projets de Satan contre la Croix. Plein de ces pensées, le proconsul s’étoit précipité des montagnes de l’Arcadie, comme le torrent du Styx qui tombe de ces mêmes montagnes et qui donne la mort à tous ceux qui boivent de ses eaux. Il passe en Épire, s’embarque au promontoire d’Actium, aborde à Tarente, et ne s’arrête qu’auprès de Galérius, qui profanoit alors à Tusculum les jardins de Cicéron.

César étoit environné dans ce moment des sophistes de l’école, qui se prétendoient aussi persécutés parce qu’on méprisoit leurs opinions. Ils s’agitoient pour être consultés sur la grande question que l’on alloit débattre. Ils se disoient juges naturels de tout ce qui concerne la religion des hommes. Ils avoient supplié Dioclétien de leur donner comme aux chrétiens un orateur au sénat. L’empereur, importuné de leurs cris, leur avoit accordé leur demande. L’arrivée d’Hiéroclès les remplit de joie. Ils le nomment orateur des sectes philosophiques, Hiéroclès accepte un honneur qui flatte sa vanité et lui fournit l’occasion de se rendre accusateur des chrétiens. L’orgueil d’une raison pervertie et la fureur de l’amour lui font déjà voir les fidèles terrassés et Cymodocée dans ses bras. Galérius, dont il corrompt l’esprit et seconde les projets, lui accorde une protection éclatante et lui permet de s’exprimer au Capitole avec toute la licence des opinions des faux sages. Symmaque, pontife de Jupiter, doit parler en faveur des anciens dieux de la patrie.

Le jour qui alloit décider du sort de la moitié des habitants de l’empire, le jour où les destinées du genre humain étoient menacées