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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/232

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dans la religion de Jésus-Christ, ce jour si désiré, si craint des anges, des démons et des hommes, ce jour se leva. Dès la première blancheur de l’aube, les gardes prétoriennes occupèrent les avenues du Capitole. Un peuple immense étoit répandu sur le Forum, autour du temple de Jupiter Stator et le long du Tibre jusqu’au théâtre de Marcellus : ceux qui n’avoient pu trouver place étoient montés jusque sur les toits voisins et sur les arcs de triomphe de Titus et de Sévère. Dioclétien sort de son palais ; il s’avance au Capitole par la voie Sacrée, comme s’il alloit triompher des Marcomans et des Parthes. On avoit peine à le reconnoître : depuis quelque temps il succomboit sous une maladie de langueur et sous le poids des ennuis que lui donnoit Galérius. En vain le vieillard avoit pris soin de colorer son visage : la pâleur de la mort perçoit à travers cet éclat emprunté, et déjà les traits du néant paroissoient sous le masque à demi tombé de la puissance humaine.

Galérius, environné de tout le faste de l’Asie, suivoit l’empereur sur un char superbe traîné par des tigres. Le peuple trembloit, effrayé de la taille gigantesque et de l’air furieux du nouveau Titan. Constantin s’avançoit ensuite, monté sur un cheval léger ; il attiroit les vœux et les regards des soldats et des chrétiens ; les trois orateurs marchoient après les maîtres du monde. Le pontife de Jupiter, porté par le collège des prêtres, précédé des aruspices et suivi du corps des vestales, saluoit la foule, qui reconnoissoit avec joie l’interprète du culte de Romulus. Hiéroclès, couvert du manteau des stoïciens, paroissoit dans une litière ; il étoit entouré de Libanius, de Jamblique, de Porphyre et de la troupe des sophistes : le peuple, naturellement ennemi de l’affectation et de la vaine sagesse, lui prodiguoit les railleries et les mépris. Enfin, Eudore se montroit le dernier, vêtu d’un habit de deuil ; il marchoit seul, à pied, l’air grave, les yeux baissés, et sembloit porter tout le poids des douleurs de l’Église : les païens reconnoissoient avec étonnement dans ce simple appareil le guerrier dont ils avoient vu les statues triomphales ; les fidèles s’inclinoient avec l’espect devant leur défenseur ; les vieillards le bénissoient, les femmes le montroient à leurs enfants, tandis qu’à tous les autels de Jésus-Christ les prêtres offroient pour lui le saint sacrifice.

Il y avoit au Capitole une salle appelée la salle Julienne : Auguste l’avoit jadis décorée d’une statue de la Victoire. Là se trouvoient la colonne milliaire, la poutre percée des clous sacrés, la louve de bronze et les armes de Romulus. Autour des murs étoient suspendus les portraits des consuls, l’équitable Publicola, le généreux Fabricius, Cincinnatus le rustique. Fabius le temporiseur, Paul-Émile, Caton,