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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/235

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nous. Quand nous serons bien convaincus de la grandeur et de la bonté de nos dieux paternels, nous ne craindrons plus de voir la secte des chrétiens s’accroître et se grossir des déserteurs de nos temples.

« C’est une vérité reconnue depuis longtemps que Rome a dû l’empire du monde à sa piété envers les immortels. Elle a élevé des autels à tous les génies bienfaisants, à la petite fortune, à l’amour filial, à la paix, à la concorde, à la justice, à la liberté, à la victoire, au dieu Terme, qui seul ne se leva point devant Jupiter dans l’assemblée des dieux. Cette famille divine pourroit-elle déplaire aux chrétiens ? Quel homme oseroit refuser des hommages à de si nobles déités ? Voulez-vous remonter plus haut, vous trouverez les noms mêmes de notre patrie, nos traditions les plus antiques, liés à notre religion et faisant partie de nos sacrifices ; vous trouverez le souvenir de cet âge d’or, règne de bonheur et d’innocence, que tous les peuples envient à l’Ausonie. Y a-t-il rien de plus touchant que ce nom de Latium donné à la campagne de Laurente, parce qu’elle fut l’asile d’un dieu persécuté ? Nos pères, en récompense de leur vertu, reçurent du ciel un cœur hospitalier, et Rome servit de refuge à tous les infortunés bannis. Que d’intéressantes aventures ! que de noms illustres attachés à ces migrations des premiers temps du monde, Diomède, Philoctète, Idoménée, Nestor ! Ah ! quand une forêt couvroit la montagne où s’élève ce Capitole ; lorsque des chaumières occupoient la place de ces palais, que ce Tibre si fameux ne portoit encore que le nom inconnu d’Albula, on ne demandoit point ici si le Dieu d’une obscure nation de la Judée étoit préférable aux dieux de Rome ! Pour se convaincre de la puissance de Jupiter, il suffit de considérer la foible origine de cet empire. Quatre petites sources ont formé le torrent du peuple romain : Albe, le cher pays et le premier amour des Curiaces ; les guerriers latins, qui s’unirent aux guerriers d’Énée ; les Arcadiens d’Évandre, qui transmirent aux Cincinnatus l’amour des troupeaux et le sang des Hellènes, doux germe de l’éloquence chez les rudes nourrissons d’une louve ; enfin les Sabins, qui donnèrent des épouses aux compagnons de Romulus ; ces Sabins, vêtus de peaux de brebis, conduisant leurs troupeaux avec une lance, vivant de laitage et de miel, et se consacrant a Cérès et à Hercule, l’une le génie et l’autre le bras du laboureur.

« Ces dieux, qui ont opéré tant de merveilles, ces dieux, qui ou inspiré Numa, Fabricius et Caton ; ces dieux, qui protègent les cendres illustres de nos citoyens : ces dieux, au milieu desquels brillent aujourd’hui nos empereurs, sont-ils des divinités sans pouvoir et sans vertus ?

« Dioclétien, je suppose que Rome chargée d’années apparoisse