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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/236

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tout à coup à vos yeux sous les voûtes de ce Capitole, et qu’elle s’adresse ainsi à votre éternité :

« Grand prince, ayez égard à cette vieillesse où ma piété envers les dieux m’a fait parvenir. Libre comme je le suis, je m’en tiendrai toujours à la religion de mes ancêtres. Cette religion a mis l’univers sous ma loi. Ses sacrifices ont éloigné Annibal de mes murailles et les Gaulois du Capitole. Quoi ! l’on renverseroit un jour cette statue de la Victoire sans craindre de soulever mes légions ensevelies aux champs de Zama ! N’aurois-je été préservée des plus redoutables ennemis que pour être déshonorée par mes enfants dans ma vieillesse ? »

« C’est ainsi, ô puissant empereur ! que vous parle Rome suppliante. Voyez se lever de leurs tombeaux, sur le chemin d’Appius, ces républicains vainqueurs des Volsques et des Samnites, dont nous révérons ici les images ; ils montent à ce Capitole qu’ils remplirent de dépouilles opimes ; ils viennent, couronnés de la branche du chêne, unir leurs voix à la voix de la patrie. Ces mânes sacrés n’avoient point rompu leur sommeil de fer pour la perte de nos mœurs et de nos lois ; ils ne s’étoient point réveillés au bruit des proscriptions de Marins ou des fureurs du triumvirat, mais la cause du ciel les arrache au cercueil, et ils viennent la plaider devant leurs fils. Romains séduits par la religion nouvelle, comment avez-vous pu changer pour un culte étranger nos belles fêtes et nos pieuses cérémonies ?

« Princes, je le répète, nous ne demandons point la persécution des chrétiens. On dit que le Dieu qu’ils adorent est un Dieu de paix et de justice ; nous ne refusons point de l’admettre dans le Panthéon, car nous souhaitons, très-pieux empereur, que les dieux de toutes les religions vous protègent ; mais que l’on cesse d’insulter Jupiter. Dioclétien, Galérius, sénateurs, indulgence pour les chrétiens, protection pour les dieux de la patrie ! »

En achevant de prononcer ces mots, Symmaque salue de nouveau la statue de la Victoire, et se rassied au milieu des sénateurs. Les esprits étoient différemment agités : les uns, charmés de la dignité du discours de Symmaque, se rappeloient les jours des Hortensius et des Cicéron ; les autres blâmoient la modération du pontife de Jupiter. Satan n’avoit plus d’espoir que dans Hiéroclès, et cherchoit à détruire l’effet de l’éloquence du grand-prêtre ; les anges de lumière profitoiont au contraire de cette éloquence pour ramener le sénat à des sentiments plus humains. On voyoit s’agiter les casques des guerriers, les toges des sénateurs, les robes et les sceptres des augures et des aruspices ; on entendoit un murmure confus, signe équivoque du blâme et