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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/237

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de la louange. Dans un champ où l’ivraie et d’inutiles fleurs de pourpre et d’azur s’élèvent au milieu du froment d’or, si quelque zéphyr se glisse dans la forêt diaprée, d’abord les plus frêles épis courbent leurs têtes ; bientôt le souffle croissant balance en tumulte les gerbes fécondes et les plantes stériles : tel paroissoit dans le sénat le mouvement de tant d’hommes divers.

Les courtisans regardoient curieusement Dioclétien et Galérius, afin de régler leur opinion sur celle de leurs maîtres : César donnoit des signes d’emportement, mais le visage d’Auguste étoit impassible.

Hiéroclès se lève : il s’enveloppe dans son manteau et garde quelque temps un air sévère et pensif. Initié à toutes les ruses de l’éloquence athénienne, armé de tous les sophismes, souple, adroit, railleur, hypocrite, affectant une élocution concise et sentencieuse, parlant d’humanité en demandant le sang de l’innocent, méprisant les leçons du temps et de l’expérience, voulant à travers mille maux conduire le monde au bonheur par des systèmes, esprit faux, s’applaudissant de sa justesse : tel étoit l’orateur qui parut dans la lice pour attaquer toutes les religions, et surtout celle des chrétiens. Galérius laissoit un libre cours aux blasphèmes de son ministre : Satan poussoit au mal l’ennemi des fidèles, et l’espoir de perdre Eudore animoit l’amant de Cymodocée. Le démon de la fausse sagesse, sous la figure d’un chef de l’école nouvellement arrivé d’Alexandrie, se place auprès d’Hiéroclès : celui-ci, après un moment de silence, déploie tout à coup ses bras ; il rejette son manteau en arrière, pose les deux mains sur son cœur, s’incline jusqu’au pavé du Capitole en saluant Auguste et César, et prononce ce discours :

« Valérius Dioclétien, fils de Jupiter, empereur éternel, Auguste, huit fois consul, très-clément, très-divin, très-sage ; Valérius Maximianus Galérius, fils d’Hercule, fils adoptif de l’empereur, César, éternel et très-heureux, Parthique, triomphateur, amateur de la science et vérissime philosophe ; sénat très-vénérable et sacré, vous permettez donc que ma voix se fasse entendre ! Troublé par cet honneur insigne, comment pourrois-je m’exprimer avec assez de force ou de grâce ? Pardonnez à la foiblesse de mon éloquence en faveur de la vérité qui me fait parler.

« La terre, dans sa fécondité première, enfanta les hommes. Les hommes, par hasard et par nécessité, s’assemblèrent pour leurs besoins communs. La propriété commença : les violences suivirent ; l’homme ne put les réprimer : il inventa les dieux.

« La religion trouvée, les tyrans en profitèrent. L’intérêt multiplia les erreurs, les passions y mêlèrent leurs songes.