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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/240

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troubles ; ils débauchent les soldats de nos armées ; ils portent la désunion dans les familles ; ils séduisent des vierges crédules ; ils arment le frère contre le frère, l’époux contre l’épouse. Puissants aujourd’hui, ils ont des temples, des trésors, et ils refusent de prêter serment aux empereurs dont ils tiennent ces bienfaits ; ils insultent aux sacrées images de Dioclétien, ils aiment mieux mourir que de sacrifier à ses autels. Dernièrement encore, n’ont-ils pas laissé la divine mère de Galérius offrir seule des victimes pour son fils aux génies innocents des montagnes ! Enfin, joignant le fanatisme à la dissolution, ils voudroient précipiter du Capitole la statue de la Victoire, arracher de leurs sanctuaires vos dieux paternels !

« Qu’on ne croie pas cependant que je défende ici ces dieux qui dans l’enfance des peuples ont pu paroître nécessaires à des législateurs habiles. Nous n’avons plus besoin de ces ressources. La raison commence son règne. Désormais on n’élèvera d’autel qu’à la vertu. Le genre humain se perfectionne chaque jour. Un temps viendra que tous les hommes, soumis à la seule pensée, se conduiront par les clartés de l’esprit. Je ne soutiens donc ni Jupiter, ni Mitra, ni Sérapis. Mais, si l’on conserve encore une religion dans l’empire, l’ancienne réclame une juste préférence. La nouvelle est un mal, qu’il faut extirper par le fer et par le feu. Il faut guérir les chrétiens eux-mêmes de leur propre folie. Eh bien, un peu de sang coulera ! Nous nous attendrirons sans doute sur le sort des criminels ; mais nous admirerons, nous bénirons la loi qui frappera les victimes pour la consolation des sages et le bonheur du genre humain. »

Hiéroclès achevoit à peine son discours que Galérius donna le signal des applaudissements. L’œil en feu, le visage rouge de colère, César sembloit déjà prononcer l’arrêt fatal des chrétiens. Ses courtisans levoient les mains au ciel comme saisis d’horreur et de crainte ; ses gardes frémissoient de rage en songeant que des impies vouloient renverser l’autel de la Victoire ; le peuple redisoit avec effroi les incestes nocturnes et les repas de chair humaine. Les sophistes qui environnoient Hiéroclès le portoient au ciel : c’étoit l’intrépide ami des princes, le véritable ami des principes, le soutien de la vertu, un Socrate !

Satan échauffoit les préjugés et les haines ; ravi des paroles du proconsul, il se flattoit d’aller plus sûrement à son but par l’athéisme que par l’idolâtrie ; secondé de toutes les puissances de l’enfer, il augmentoit le bruit et le tumulte, etdonnoit au mouvement du sénat quelque chose de prodigieux. Comme le sabot circule sous le fouet de l’enfant, comme le fuseau descend et remonte entre les doigts de