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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/241

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la matrone, comme l’ébène ou l’ivoire roule sous le ciseau du tourneur, ainsi les esprits éloient agités. Dioclétien seul paroissoit immobile : on ne voyoit sur son visage ni colère, ni haine, ni amour. Les chrétiens répandus dans l’assemblée se montroient abattus et consternés. Constantin surtout étoit plongé dans une douleur profonde ; il jetoit par intervalles un regard inquiet et attendri sur Endore.

Le fils de Lasthénès se leva sans paroître ému de la défaveur de César, des bassesses des courtisans et des clameurs de la foule. Son habit de deuil, sa noble figure, encore embellie par l’expression d’une simple tristesse, attirèrent tous les regards. Les anges du Seigneur, formant un cercle invisible autour de lui, le couvroient de lumière et lui donnoient une assurance divine. Du haut du ciel, les quatre Évangélistes, penchés sur sa tête, lui dictoient secrètement les paroles qu’il alloit répéter. On entendoit dire de toutes parts dans le sénat : « C’est le chrétien ! Comment pourra-t-il répondre ? » Chacun cherchoit vainement dans ses traits, à la fois si calmes et si animés, l’expression des crimes dont Hiéroclès avoit accusé les fidèles. Lorsque des chasseurs, croyant surprendre au bord d’un fleuve un affreux vautour, découvrent tout à coup un cygne qui nage sur l’onde, charmés, ils s’arrêtent ; ils contemplent l’oiseau chéri des Muses ; ils admirent la blancheur de son plumage, la fierté de son port, la grâce de ses mouvements ; ils prêtent déjà l’oreille à ses chants harmonieux. Le cygne de l’Alphée ne tarda pas à se faire entendre : Eudore s’incline devant Auguste et César ; ensuite, sans saluer la statue de la Victoire, sans faire de gestes, sans chercher à séduire ou l’oreille ou les yeux, il parle en ces mots :

« Auguste, César, pères conscrits, peuple romain, au nom de ces hommes victimes d’une haine injuste, moi, Eudore, fils de Lasthénès, natif de Mégalopolis en Arcadie, et chrétien, salut !

« Hiéroclès a commencé son discours par excuser la foiblesse de son éloquence ; je réclame à mon tour l’indulgence du sénat. Je ne suis qu’un soldat, plus accoutumé à verser mon sang pour mes princes qu’à demander en termes fleuris le massacre d’une foule de vieillards, de femmes et d’enfants.

« Je remercie d’abord Symmaque de la modération qu’il a montrée envers mes frères. Le respect que je dois au chef de l’empire me force à me taire sur le culte des idoles. J’observerai cependant que les Camille, les Scipion, les Paul-Émile, n’ont point été de grands hommes parce qu’ils suivoient le culte de Jupiter, mais parce qu’ils s’éloignoient de la morale et des exemples des divinités de l’Olympe. Dans notre religion, au contraire, on ne peut atteindre au plus haut