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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/242

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degré de la perfection qu’en imitant notre Dieu. Nous plaçons aussi de simples mortels dans les éternelles demeures ; mais il ne suffit pas pour acquérir cette gloire d’avoir porté le bandeau royal, il faut avoir pratiqué la vertu : nous abandonnons à votre ciel les Néron et les Domitien.

« Toutefois l’effet d’une religion quelconque est si salutaire à l’âme, que le pontife de Jupiter a parlé des chrétiens avec douceur, tandis qu’un homme qui ne reconnoît point de Dieu demande notre sang au nom de l’humanité et de la vertu. Eh quoi ! Hiéroclès, c’est sous le manteau que vous portez que vous voulez semer la désolation dans l’empire ! Magistrat romain, vous provoquez la mort de plusieurs millions de citoyens romains ! Car, pères conscrits, vous ne pouvez vous le dissimuler, nous ne sommes que d’hier, et déjà nous remplissons vos cités, vos colonies, vos camps, le palais, le sénat, le Forum : nous ne vous laissons que vos temples.

« Princes, notre accusateur est un apostat, et il se confesse athée : il sait lui-même quel titre je pourrois ajouter à ces titres. Symmaque est un homme pieux, dont l’âge, la science et les mœurs sont également respectables. Dans toute cause criminelle, on prend en considération le caractère des témoins : Symmaque nous excuse ; Hiéroclès nous dénonce : lequel des deux doit être écouté ? Auguste, César, pères conscrits, peuple romain, daignez me prêter une oreille attentive, je vais reprendre la suite des accusations d’Hiéroclès et défendre la religion de Jésus-Christ. »

À ce grand nom l’orateur s’arrêta ; tous les chrétiens s’inclinèrent, et la statue de Jupiter trembla sur son autel. Eudore reprit :

« Je ne remonterai point, comme Hiéroclès, jusqu’au berceau du monde pour en venir à la question du moment. Je laisse aux disciples de l’école ce vain étalage de principes odieux, de faits altérés et de déclamations puériles. Il ne s’agit ici ni de la formation du monde ni de l’origine des sociétés : tout se borne à savoir si l’existence des chrétiens est compatible avec la sûreté de l’État ; si leur religion ne blesse ni les mœurs ni les lois ; si elle ne s’oppose point à la soumission que l’on doit au chef de l’empire ; en un mot, si la morale et la politique n’ont rien à reprocher au culte de Jésus-Christ. Cependant, je ne puis m’empêcher de vous faire remarquer la singulière opinion d’Hiéroclès touchant les Hébreux.

« La raison politique de l’établissement de Jérusalem au centre d’un pays stérile étoit trop profonde pour être aperçue de l’accusateur des chrétiens. Le législateur des Israélites vouloit en faire un peuple qui pût résister au temps, conserver le culte du vrai Dieu, au milieu de l’idolâtrie universelle, et trouver dans ses institutions une force