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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/245

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mes lois, ce Dieu qui n’autorise point l’infanticide, la prostitution du mariage, le spectacle du meurtre des hommes, ce Dieu qui couvre mon sein des monuments de sa bienfaisance, ce Dieu qui conserve les lumières des lettres et des arts, et qui veut abolir l’esclavage sur la terre. Ah ! si un jour je devois encore voir les barbares à mes portes, ce Dieu, je le sens, pourroit seul me sauver et changer ma vieillesse languissante en une immortelle jeunesse. »

« Reste donc à repousser la dernière et la plus effrayante des accusations d’Hiéroclès, si les chrétiens pouvoient s’effrayer de perdre les biens et la vie. Nous sommes, dit notre délateur, des séditieux ; nous refusons d’adorer les images de l’empereur et d’offrir des sacrifices aux dieux pour le père de la patrie.

« Les chrétiens, des séditieux ! Poussés à bout par leurs persécuteurs et poursuivis comme des bêtes féroces, ils n’ont pas même fait entendre le plus léger murmure ; neuf fois ils ont été massacrés, et, s’humiliant sous la main de Dieu, ils ont laissé l’univers se soulever contre les tyrans. Que Hiéroclès nomme un seul fidèle engagé dans une conspiration contre son prince ! Soldats chrétiens que j’aperçois ici, Sébastien, Pacôme, Victor, dites-nous où vous avez reçu les nobles blessures dont vous êtes couverts. Est-ce dans les émeutes populaires, en assiégeant le palais de vos empereurs, ou bien en affrontant, pour la gloire de vos princes, la flèche du Parthe, l’épée du Germain et la hache du Franc ? Hélas ! généreux guerriers, mes compagnons, mes amis, mes frères, je ne m’inquiète point de mon sort, bien que j’aie quelque raison de regretter à présent la vie, mais je ne puis m’empêcher de m’attendrir sur votre destinée. Que n’avez-vous choisi un défenseur plus éloquent ! J’aurois pu mériter une couronne civique en vous sauvant des mains des barbares, et je ne pourrai vous dérober au fer d’un proconsul romain !

« Finissons ce discours. Dioclétien, vous trouverez chez les chrétiens des sujets respectueux qui vous seront soumis sans bassesse, parce que le principe de leur obéissance vient du ciel. Ce sont des hommes de vérité ; leur langage ne diffère point de leur conduite ; ils ne reçoivent point les bienfaits d’un maître en le maudissant dans leur cœur. Demandez à de tels hommes leur fortune, leur vie, leurs enfants, ils vous les donneront, parce que tout cela vous appartient. Mais voulez-vous les forcer à encenser les idoles, ils mourront ! Pardonnez, princes, à cette liberté chrétienne : l’homme a aussi ses devoirs à remplir envers le ciel. Si vous exigez de nous des marques de soumission qui blessent ces devoirs sacrés, Hiéroclès peut appeler les