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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/246

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bourreaux : nous rendrons à César notre sang, qui est à César, et à Dieu notre âme, qui est à Dieu. »

Eudore reprend sa place, rejette sur son épaule sa toge à demi tombée, et se hâte de recouvrir avec une modeste rougeur les cicatrices de son sein.

Pourrai-je exprimer la diversité des sentiments que le discours du fils de Lasthénès excita dans l’assemblée ? C’étoit un mélange d’admiration, de crainte, de fureur : chacun éclatoit en mouvements de haine ou d’amour. Ceux-ci admiroient la beauté de la religion accusée, ceux-là n’y voyoient qu’un reproche fait à leurs mœurs et à leurs dieux. Les guerriers étoient émus et vivement intéressés en faveur d’Eudore.

« Que nous servira donc, disoient-ils, de verser notre sang pour la patrie, de souffrir l’esclavage chez les barbares, de triompher des ennemis du prince, si un sophiste nous peut égorger au Capitole ? »

Pour la première fois de sa vie, Dioclétien paroissoit ému : même en laissant persécuter les fidèles, Dieu se servoit de l’éloquence chrétienne pour semer les germes de la foi dans le sénat romain. La mâle simplicité du discours d’Eudore triomphoit et des calomnies d’Hiéroclès et des touchants souvenirs dont Symmaque avoit environné la statue de la Victoire ; tout semble annoncer que l’empereur va prononcer une sentence favorable aux chrétiens.

Hiéroclès, alarmé, vouloit paroître calme et victorieux, mais la rage et la frayeur perçoient malgré lui dans ses regards : lorsqu’un tigre s’est précipité dans la fosse escarpée que creusa sous ses pas un berger de Libye, la bête féroce, après s’être longtemps débattue, se couche avec une apparente tranquillité au milieu de l’enceinte fatale ; mais à l’agitation de ses yeux et de ses lèvres sanglantes, on voit qu’elle ressent vivement la crainte et la douleur du piège où elle est tombée.

Galérius rendit bientôt l’espérance à son ministre. Ce fougueux César, accoutumé au langage déshonoré de ses flatteurs, s’indigne des accents de la vertu et de la noble assurance d’un homme de bien. Il déclare que si l’on ne punit pas les fidèles, il quittera la cour et se mettra à la tête des légions d’Orient :

« Car ces ennemis du ciel porteroient sur moi leurs mains sacrilèges. »

Hiéroclès, reprenant son audace, fait observer qu’il y avoit des mystères sur lesquels on ne s’expliquoit point ; qu’après tout, les factieux refusoient de sacrifier à l’empereur et cherchoient par une éloquence séditieuse à soulever les soldats.

Trop accoutumé à céder à la violence de Galérius, Dioclétien fut