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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/249

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les rivages de l’île de Chypre. On célébroit alors la fête de la déesse d’Amathonte : l’onde molle et silencieuse baignoit le pied du temple de Dionée, bâti sur un promontoire au milieu des vagues tranquilles. De jeunes filles demi-nues dansoient dans un bois de myrtes, autour du voluptueux édifice ; de jeunes garçons, qui brûloient de dénouer la ceinture des Grâces, chantoient en chœur la veillée des fêtes de Vénus. Ces paroles, apportées par le souftle des Zéphyrs, parvenoient sur la mer jusqu’au vaisseau :

« Qu’il aime demain, celui qui n’a point aimé ! Qu’il aime encore demain, celui qui a aimé !

« Ame de l’univers, volupté des hommes et des dieux, belle Vénus, c’est toi qui donnes la vie à toute la nature ! Tu parois : les vents se taisent, les nuages se dissipent, le printemps renaît, la terre se couvre de fleurs et l’Océan sourit. C’est Vénus qui place sur le sein de la jeune fille la rose teinte du sang d’Adonis ; c’est Vénus qui force les nymphes à errer avec l’Amour, la nuit, sous les yeux de Diane rougissante. Nymphes, craignez l’Amour : il a déposé ses armes, mais il est armé quand il est nu ! Le fils de Cythérée naquit dans les champs, il fut nourri parmi les fleurs. Philomèle a chanté sa puissance, ne cédons point à Philomèle.

« Qu’il aime demain, celui qui n’a point aimé ! Qu’il aime encore demain, celui qui a aimé !

« Île heureuse, tout sur tes bords délicieux atteste les prodiges de l’Amour. Nautoniers, fatigués des périls, attachez l’ancre à nos ports et ployez à jamais vos voiles. Dans les bosquets d’Amathonte, vous ne livrerez que de doux combats, vous ne craindrez plus les pirates, hors l’ingénieux Amour, qui vous prépare des liens de fleurs. Ce sont les Grâces qui filent ici les instants des mortels. Vénus, par un charme invincible, assoupit un jour les Parques au fond du Tartare : aussitôt Aglaé enlève la quenouille à Lachésis, Euphrosyne le fil a Clotho, mais Atropos s’éveilla au moment où Pasithée alloit lui dérober ses ciseaux. Tout cède à la puissance des Grâces et de Vénus !

« Qu’il aime demain, celui qui n’a point aimé ! Qu’il aime encore demain, celui qui a aimé ! »

Ces chants portoient le trouble dans l’âme des nautoniers. La proue d’airain fendoit les vagues avec un bruit harmonieux : chargée des parfums de la fleur de l’oranger et de l’encens des sacrifices, la brise enfloit doucement les voiles et les arrondissoit comme le sein d’une jeune mère.

Une langueur dangereuse s’emparoit peu à peu de Cymodocée. Docile aux projets de Satan, Astarté, cet esprit impur qui triomphe