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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/250

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dans les temples d’Amathonte, combat secrètement la fille d’Homère. Émue par les chants corrupteurs, elle descend au fond du vaisseau ; elle rêve à son époux ; elle ne sait comment régler les mouvements de son amour pour ne pas blesser sa religion nouvelle. Elle va consulter Dorothée : il lui conseille d’avoir recours au ciel : le couple fidèle tombe à genoux, et adresse ses vœux au Tout-Puissant. Le vent s’est élevé, les flots battent les deux flancs de la galère ; c’est le seul bruit qui accompagne la prière de l’amour : passion orageuse, que le matelot nourrit au milieu de la solitude des mers comme le pâtre dans la profondeur des bois.

Dorothée et la fille de Démodocus étoient encore troublés par les souvenirs d’Amathonte, lorsqu’ils découvrirent le sommet du Carmel. Peu à peu la plaine de la Palestine sort de l’onde et se dessine le long de la mer : les montagnes de la Judée se montrent derrière cette plaine : le vaisseau vint en silence, au milieu de la nuit, jeter l’ancre dans le port de Joppé : plus sacré que le vaisseau d’Hiram chargé des cèdres du temple, il portoit le temple vivant de Jésus-Christ et l’innocence, préférable au bois parfumé. Les passagers chrétiens descendent au rivage ; ils se prosternent, et baisent avec transport la terre où s’accomplit leur salut. Dorothée et la jeune catéchumène se réunissent à une troupe de pèlerins qui dévoient partir au point du jour pour Jérusalem.

L’aube avoit à peine blanchi les cieux, que l’on entendit la voix de l’Arabe conducteur de la troupe : il entonnoit le chant du départ de la caravane. Aussitôt les pèlerins s’apprêtent, les dromadaires fléchissent les genoux et reçoivent sur leurs dos voûtés les pesants fardeaux ; les ânes robustes, les cavales légères, portent les voyageurs. Cymodocée, qui attiroit tous les regards, étoit assise, avec sa nourrice, sur un chameau orné de tapis, de plumes et de banderoles : Rebecca montra moins de pudeur quand elle se voila la tête en apercevant Isaac qui venoit au-devant d’elle ; Rachel parut moins belle aux yeux de Jacob lorsqu’elle quitta ses pères, emportant ses dieux domestiques. Dorothée et ses serviteurs marchoient aux côtés de la fille de Démodocus, et veilloient aux pas de son chameau.

On quitte les murs de Joppé, qu’embellissent des bois de lentisques et de grenadiers semblables à des rosiers chargés de pommes rouges ; on traverse la plaine de Saron, qui dans l’Écriture partage avec le Carmel et le Liban l’honneur d’être l’image de la beauté : elle étoit couverte de ces fleurs dont Salomon, dans toute sa pompe royale, ne pouvoit égaler la magnificence. Bientôt on pénètre dans les montagnes de Judée par le hameau qui vit naître l’heureux coupable à qui Jésus-Christ