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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/251

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promit le ciel sur la croix. Les pieux voyageurs vous saluèrent aussi, berceau de Jérémie, vous qui respirez encore la tristesse du prophète des douleurs ! Ils franchissent le torrent qui fournit au berger de Bethléem les pierres dont il frappa le Philistin ; ils s’enfoncent dans un désert où des figuiers sauvages clair-semés étaloient au vent brûlant du midi leurs feuilles noircies : la terre, qui jusque là avoit conservé quelque verdure, se dépouille ; les flancs des monts s’élargissent et prennent à la fois un air plus grand et plus stérile. Peu à peu la végétation se retire et meurt ; les mousses mêmes disparoissent ; une teinte rouge et ardente succède à la pâleur des rochers. Parvenus à un col élevé, tout à coup les pèlerins découvrent un vieux mur surmonté de la cime de quelques édifices nouveaux. Le guide s’écrie : « Jérusalem ! » et la troupe, soudain arrêtée par un mouvement involontaire, répète : « Jérusalem ! Jérusalem ! »

À l’instant les chrétiens se précipitent de leurs cavales ou de leurs chameaux. Ceux-ci se prosternent trois fois, ceux-là se frappent le sein en poussant des sanglots ; les uns apostrophent la ville sacrée dans le langage le plus pathétique, les autres restent muets d’étonnement, le regard attaché sur Jérusalem. Mille souvenirs accablent à la fois le cœur et l’esprit : souvenirs qui n’embrassent rien moins que la durée du monde ! ô muse de Sion, toi seule pourrois peindre ce désert qui respire la divinité de Jéhovah et la grandeur des prophètes !

Entre la vallée du Jourdain et les plaines de l’Idumée s’étend une chaîne de montagnes qui commence aux champs fertiles de la Galilée et va se perdre dans les sables de l’Yémen. Au centre de ces montagnes se trouve un bassin aride, fermé de toutes parts par des sommets jaunes et rocailleux ; ces sommets ne s’entr’ouvrent qu’au levant, pour laisser voir le gouffre de la mer Morte et les montagnes lointaines de l’Arabie. Au milieu de ce paysage de pierres, sur un terrain inégal et penchant, dans l’enceinte d’un mur jadis ébranlé sous les coups du bélier, et fortifié par des tours qui tombent, on aperçoit de vastes débris ; des cyprès épars, des buissons d’aloès et de nopals, quelques masures arabes, pareilles à des sépulcres blanchis, recouvrent cet amas de ruines : c’est la triste Jérusalem.

Au premier aspect de cette région désolée, un grand ennui saisit le cœur. Mais lorsque, passant de solitude en solitude, l’espace s’étend sans bornes devant vous, peu à peu l’ennui se dissipe ; le voyageur éprouve une terreur secrète qui, loin d’abaisser l’âme, donne du courage et élève le génie. Des aspects extraordinaires décèlent de toutes parts une terre travaillée par des miracles : le soleil brûlant, l’aigle impétueux, l’humble hysope, le cèdre superbe, le figuier stérile, toute