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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/254

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d’un guerrier ! Le chrétien qui lui perça le sein va tout en pleurs puiser de l’eau dans son casque, et revient donner une vie éternelle à la beauté qu’il priva d’un jour passager. Enfin la cité sainte est attaquée de toutes parts, et l’étendard de la croix flotte sur les murs de Jérusalem. L’artiste divin avoit aussi représenté, parmi tant de merveilles, le poëte qui devoit un jour les chanter : il paroissoit écouter au milieu d’un camp le cri de la religion, de l’honneur et de l’amour, et, plein d’un noble enthousiasme, il écrivoit ses vers sur un bouclier.

Cependant le temps, qui fuit sans cesse, avoit ramené la veille du jour douloureux où Jésus-Christ expira sur la croix. Cymodocée, avec une troupe de vierges choisies, accompagne Hélène au tombeau du Sauveur. La nuit étoit au milieu de son cours ; le saint sépulcre étoit rempli de fidèles, et pourtant un profond silence régnoit dans ce lieu sacré. Le chandelier à sept branches brûloit devant l’autel ; quelques lampes éclairoient à peine le reste de l’édifice ; toutes les images des martyrs et des anges étoient voilées ; le sacrifice étoit suspendu, et l’hostie déposée dans le saint tombeau. Hélène se place au milieu de la foule : elle avoit quitté son diadème ; elle ne vouloit pas ceindre son front d’une couronne de diamants dans ces lieux où le Rédempteur avoit porté une couronne d’épines. L’habileté de Cymodocée dans l’art des chants étoit déjà connue de ses compagnes ; elles avoient invité la fille d’Homère à soupirer les plaintes de Jérémie. Hélène l’encourage d’un regard. Cymodocée s’avance au pied de l’autel : elle étoit vêtue d’une robe de bysse aurore, attachée par une ceinture de soie et bordée de grenades d’or, à la manière des filles juives ; ses cheveux, son cou et ses bras étoient chargés, pour un moment, de croissants, de bandelettes de cinq couleurs, de bracelets, de pendants d’oreilles et de colliers : telle parut aux yeux des Israélites Michol, épouse promise à David pour prix de sa victoire sur les Philistins ; tel un palmier de Syrie orne sa tête de ses fruits enchaînés comme des cristaux de corail à des filets d’ambre. Cymodocée, élevant une voix pure, fait entendre ces lamentations :

« Comment la ville, autrefois pleine de peuple, est-elle assise dans la solitude ? Comment l’or est-il obscurci ? Comment les pierres du sanctuaire ont-elles été dispersées ? La maîtresse des nations est veuve ; la reine des provinces est sujette au tribut. Les rues de Sion pleurent, les portes sont détruites, les prêtres gémissent, les vierges sont désolées. Ô race de Juda ! vous avez été traitée comme un vase d’argile ! Jérusalem, Jérusalem, dans un moment tu vis tomber l’orgueil de tes tours, et tes ennemis plantèrent leurs tentes à l’endroit même où le juste pleurant sur toi avoit prédit ta ruine. »